Dans ce nouvel épisode du livre « 25 ans dans les geôles de Tindouf: mes mémoires d’un prisonnier de guerre », Ali Najab, ex-pilote de chasse, raconte l’évasion réussie de deux soldats des FAR. Une vraie épopée…
Ben Kazza et K’Hila travaillaient en 1995 à Mhiriz à l’Est de Tifariti. Le polisario les avait ramenés de Tindouf au Sahara pour travailler dans des travaux de construction juste après le cessez-le-feu. A titre de rappel, le polisario voulait installer ses forces en grande pompe à Tifariti et à Mhiriz pour mettre le Maroc devant le fait accompli le jour de la signature du cessez-le-feu. On se rappelle de la sortie 48 heures avant des unités des forces armées royales qui avaient tout balayé autour de Tifariti et forcé le polisario à quitter les lieux. Une fois la paix signée, le polisario avait ramené à Tindouf l’ensemble des prisonniers de guerre marocains qu’il avait momentanément déplacés au Sahara. Mais il en avait gardé quelques-uns pour les travaux de servitude dont K’Hila qui faisait cuisinier du chef de région et Ben Kazza simple manœuvre.
Ces deux prisonniers que je rencontrais souvent au centre du 9 juin m’avait laissé une bonne impression de par leur force de caractère. Une fois à Mhiriz, ils se voyaient régulièrement. Ils travaillaient à 3 km l’un de l’autre. Mais ils avaient obtenu de leurs gardiens l’autorisation de se rendre visite mutuellement prétextant qu’il leur était insupportable de vivre tout le temps isolés l’un de l’autre. Ils devaient néanmoins chacun demander l’autorisation du chef de poste avant de sortir. Ils pratiquèrent cette tactique durant une année. Ils avaient donc eu le temps d’acquérir la confiance de leurs gardiens en s’absentant l’un ou l’autre de 13 heures à 17 heures.
Ils prirent la décision de s’évader le mois de septembre 1995. Chacun devait quitter son lieu de travail à 13 heures avec autorisation comme à l’accoutumée et de se retrouver à un endroit qu’ils avaient fixé d’avance. Le 20 septembre ils prirent le départ à 13 heures, heure où tout le monde faisait la sieste.
Dès le départ ils accélérèrent la marche pour se trouver loin à la tombée de la nuit. Il faisait nuit noir quand soudain ils virent au loin des lumières de voitures derrière eux. Ils n’eurent le moindre doute qu’il s’agissait du polisario qui était à leurs trousses. Ils se terrèrent le temps de laisser les lumières passer devant. Ils estimèrent les véhicules du polisario à trois. Ils reprirent leur marche parallèlement au déplacement des véhicules pour les avoir toujours à l’œil. J’ai été à la rencontre de Ben Kazza qui raconte:
«A minuit les lumières avaient disparu de notre vision. Nous décidâmes alors de nous séparer de peur d’être repris les deux par l’ennemi. Au petit matin de la journée du 21 septembre je faillis me trouver face à face avec une patrouille ennemie. Je décidai de me terrer, le terrain s’y prêtait d’autant plus que je venais d’atteindre les mouvements de terrain accidenté de Rghioua. J’avais passé cette journée à observer le relief et les environs pour déterminer la direction à prendre une fois la nuit tombée.
Au crépuscule je repris ma marche dans la direction du coucher de soleil. Smara en effet se trouvait à l’ouest. J’étais donc sûr en allant à l’ouest, j’allais tomber sur notre mur de défense. J’avais marché toute la nuit. A 3 heures et demie, je franchis le mur de défense. Quelle fut ma joie au moment où je fus récupéré par des éléments du 6ième bataillon parachutiste !!! ».
Après avoir raconté son épopée aux gendarmes, Ben Kazza fut transféré à Smara où il retrouva avec une immense joie son camarade de fortune K’Hila qui était, lui, recueilli par une autre unité sur le mur. Les deux furent transférés à Agadir à l’état major de la zone sud. Ben Kazza termina son récit sur ceci :
« Après l’enquête, on nous avait donné 5.000 dh chacun et 45 jours de permission. J’étais simple soldat, je fus promu au grade de caporal. Mon ami K’Hila était caporal, il fut promu au grade de caporal- chef ».
Les deux furent maintenus dans l’armée jusqu’en 2005 date à laquelle ils furent mis à la retraite avec le grade de caporal chef. Autrement dit : en 25 années de carrière dont 15 ans en captivité, une évasion héroïque et 10 ans de service après l’évasion, ils n’ont été promus que de deux grades !
À méditer…