Les récits d’évasion de prisonniers de guerre marocains du goulag tindoufien se poursuivent à travers les colonnes de lecollimateur.ma. Aujourd’hui, l’ex-pilote de chasse, Ali Najab, restitue la saga de 12 vaillants soldats qui ont réussi leur plan d’évasion. Un vrai coup de maître…
Une autre évasion spectaculaire (ses auteurs 12 soldats):
Ils étaient 13 soldats prisonniers de guerre marocains d’origine sahraouie à travailler dans une «Koucha» (sorte de four) où ils fabriquaient de la chaux. Leurs noms: Loujaj M’Barek (mokhazni), Ouadad Smail (mokhazni), Mohammed Ali Nouieb, Lamri Mohammed Salem, El Abed Bella ould Laaroussi, El Fels Lhoucine, El Haddaf Omar, Daday Bou Amoud, Mohamed ould Lfatar, Bou Tasbih Mae el anine, Omar ould Chine. En dehors des deux mokhaznis et un civil, les autres, des soldats des FAR.
Ils étaient gardés et surveillés par six gardes de la milice du polisario.
Loujaj M’Barek raconte:
« Nous avions planifié de nous évader ensemble une année à l’avance. Mais seuls six d’entre nous furent mis au courant par précaution. Nous avions mis à profit cette période d’attente pour observer les gardes. Nous avions remarqué que ceux-ci avaient comme habitude à l’aube de toujours prendre le thé ensemble en bas de la guérite où une sentinelle tenait la garde. Nous avions également constaté que cette sentinelle armée d’une kalachnikov descendait l’arme en bandoulière pour prendre son verre de thé quand ses camarades l’appelaient. Nous connaissions la région sur des kilomètres à la ronde. Nous allions souvent à un endroit boisé situé à 80 km au nord ouest de Tindouf d’où nous allions ramener du bois pour chauffer les fours de chaux. Un jour je me fis très mal suite à une chute d’un acacia. Le polisario me ramena au centre principal des prisonniers pour me soigner. Inutile de dire quelle fut ma tristesse de me voir abandonner mes camarades ».
Ils étaient donc restés douze. Je suis parti à la rencontre de Smail Ouadad (tribu azouafit). Je préfère vous fournir son propre récit:
« Le 16 décembre 1983 les gardiens n’étaient que quatre. Deux étaient partis en permissions. Nous avions attendu que la sentinelle fut descendue de la guérite pour lui sauter dessus et la désarmer. Nous décidâmes de ligoter les quatre gardiens pendant que l’un de nous veillait au grain l’arme à la main (celle que nous avions enlevée à la sentinelle). Immédiatement après nous nous emparâmes de tous les kalachnikov qui étaient dans le râtelier (5 au total) et de 570 cartouches que nous distribuâmes aux camarades armés de fusils. Nous avions eu l’idée de monter la garde pour simuler la garde du polisario. Pour cela il fallait nous habiller en treillis que nous avions pris aux gardiens et nous leur avions donné les vêtements que nous portions.
Le véhicule qui avait l’habitude de nous rendre visite tous les jours tardait à venir et nous étions restés à l’attendre pendant quatre jours. Il y avait toujours un parmi nous debout dans la guérite pour annoncer son arrivée éventuelle.
Nous permettions néanmoins aux gardes de faire leurs prières et leurs besoins mais l’un après l’autre sous surveillance de l’un de nous armé d’un fusil baïonnette au canon. Nous les faisions manger aussi. Ces quatre jours furent très pénibles pour nous. Nous étions sous le stress parce que tout était imprévisible dans une situation pareille.
Le quatrième jour, c’était le 20 décembre 1983, une land rover arriva dare dare avec deux hommes à bord: le chauffeur et un administrateur. Tous les deux non armés. Ils furent surpris d’être reçus par des prisonniers armés. Sans tarder, ils furent ligotés comme les autres. Nous primes les dossiers qu’ils avaient apportés avec eux: dossiers des quatre gardiens retraités de l’armée espagnole à mettre à jour.
Il était quatre heures de l’après-midi. Nous primes la land rover dont notre chauffeur vérifia le plein d’essence. Le chef de poste possédait dans son tiroir des titres de permission vierges mais déjà signés par l’administration centrale. Nous décidâmes de prendre avec nous le chef de poste nommé Dich et un autre auxquels on fit remplir des titres de permission en cas de contrôle par les algériens. Il fallait donc simuler comme si ces deux polisariens nous accompagnaient pour aller chercher du bois comme d’habitude. Il ne fallait donc pas les garder ligotés. Plus que ça, nous avions pensé à donner un kalachnikov à l’un d’eux avec un chargeur vide bien sûr et nous les avions mis en garde qu’en cas de rencontre avec les algériens ils avaient intérêt à ne pas nous vendre sinon c’était leur fin.
Nous primes la route dans la direction de l’endroit d’où nous avions l’habitude de ramener du bois situé au nord Est de Tindouf. C’était un repaire sûr que nous connaissions pour ne pas perdre de temps en cours de route. On roulait suffisamment vite. Au moment de traverser la route Tindouf-Bechar, nous rencontrâmes un truck venant sur notre droite. Nous poursuivîmes notre route très naturellement. Un peu plus loin, nous vîmes une unité algérienne sur notre droite. Nous poursuivîmes notre route sans changer de direction pour ne pas attirer les regards sur nous. Mais nous étions prêts à toute éventualité même engager le combat fût-il suicidaire. Tout se passa bien. Il commençait à faire nuit. La navigation devenait difficile. Il fallait maintenir la même direction pour être sûr d’arriver à la frontière algéro-marocaine. Nous roulâmes toute la nuit. Soudain nous nous trouvions face à une chaine de reliefs (crabs) impossible à franchir en jeep. Nous décidâmes d’abandonner la land rover sur place et de continuer à pied. Il faisait toujours nuit. Pour nous orienter nous faisions appel à notre instinct sans plus. Mais nous étions sûrs que nous nous dirigions toujours vers le nord. Au lever du jour nous constatâmes que nous avions déjà franchi la frontière et que nous avions laissé un poste frontière marocain derrière nous. Nous vîmes des soldats nous faire signe. Mais avant de les rejoindre, j’avais envoyé un d’entre nous s’assurer qu’il s’agit bien des nôtres. J’avais pris les précautions de lui demander de revenir vers nous et tout seul pour éviter toute méprise. Ce qu’il fit. C’était le poste dit Ghazouia entre Foum Laachar et Tafagount .Nous fumes très bien reçus et avec beaucoup d’égards par un colonel nommé Ziani et un capitaine venus à notre rencontre en fin de matinée.
En arrivant à Agadir, nous fumes reçus par le général commandant la zone sud. Après 18 jours d’enquête, on nous accorda 45 jours de permission avec une somme d’argent. Moi je reçus 5.000 dh et mes camarades 2.500 dh chacun. Je fus promu au grade sergent en janvier 1984. Mes camarades deux ans après au grade de caporal chef. Je fus mis à la retraite en 2006 avec le grade d’adjudant».