PRISONNIERS DE GUERRE MAROCAINS ÉVADÉS DU GOULAG DE TINDOUF: LE CAS DU LIEUTENANT ASTATI MOHAMMED (PAR ALI NAJAB, EX-PILOTE DE CHASSE)

Lecollimateur.ma poursuit la publication des mémoires d’Ali Najab, ex-pilote de chasse, dédiés aux prisonniers de guerre marocains évadés du goulag de Tindouf. Dans cette quatrième partie, extraite de son livre « 25 ans dans les geôles de Tindouf: mes mémoires d’un prisonnier de guerre », il évoque le cas du Lieutenant Astati Mohammed. 

Le cas du Lieutenant Astati Mohammed (un autre officier intrépide mais malchanceux)                                                  

Pour rester fidèle à son texte, j’ai décidé de restituer intégralement son témoignage.  Je dois ajouter qu’il fut, même dans les moments difficiles, un officier digne.

« A plusieurs occasions, le capitaine Najab m’a demandé de lui envoyer un récit même d’une seule page sur ma tentative d’évasion en 1987. Ne pas le faire le pousserait à croire que je suis avare de lui faire part de mon expérience même en quelques lignes. La vérité c’est que je n’ai ni pu ni voulu remuer le couteau dans ma profonde blessure, surtout morale… Par quoi donc commencer ? Par le jour de l’évasion, ou par les préparatifs difficultueux dans un monde de délation. Le choix du jour ne se fit pas au hasard. Il devait d’être un jour choisi dans la fourchette des trois mois de l’année: Novembre, décembre ou janvier parce que les nuits sont plus longues. J’avais planifié de m’évader à pieds. Je devais donc parcourir une centaine de kilomètres pour retrouver ma liberté. J’avais évalué la distance à parcourir (avec les contournements de tout objet noir non identifié et les déviations pour éviter toute zone à risque à environ une centaine de kilomètres). Si l’occasion de m’évader durant la période de novembre à janvier ne m’était offerte, je devais attendre une année. C’est ce qui m’est arrivé: je me suis préparé pendant six mois en 1986, en faisant un peu de Jogging lorsque le polisario nous y autorisait. Ils nous avaient autorisés à faire un peu de sport de temps en temps. L’atmosphère s’était quelque peu détendue après les deux visites du Président algérien Chadli au Maroc. On avait également entendu parler de négociations entre le Maroc et le polisario sous les auspices de l’ONU.  Mais je n’avais pas pu trouver un moment propice pour exécuter mon plan, j’étais dans l’obligation d’attendre une année.

Combien il était difficile, d’abord de continuer de faire du sport et surtout d’avoir la patience d’attendre l’arrivée de l’hiver d’après durant lequel les nuits étaient plus longues et il faisait froid pour ne pas avoir besoin de beaucoup d’eau à boire. En plus des deux précédentes conditions, le jour devait être dans la deuxième moitié du mois arabe de l’Hégire. Il était donc facile en se servant de la lune de s’orienter.

Le jour « J »: le 17 novembre 1987, j’avais tenté de sortir comme prévu mais j’avais rencontré deux responsables du F.  Polisario sur mon chemin. Je retournai chez mes camarades qui n’étaient au courant de rien, reportant ainsi ma tentative au lendemain. J’avais décidé de partir travailler ce jour  à  « Nkheila » où je n’avais pas fourni beaucoup d’efforts, alors qu’une journée de travail à « El Hilal » là où je travaillais d’habitude, nous rendait complètement épuisés parce que nous passions la journée à charger et à  décharger les camions chargés d’aide alimentaire. Je repris le lendemain. Je réussis le soir à me faufiler à l’extérieur du centre sans être vu ni par la garde, ni par les nôtres…  Je n’avais trouvé aucune difficulté à m’orienter, de par ma formation d’officier et la durée de sept ans, depuis ma capture, durant lesquelles je m’exerçais à m’orienter en me servant des étoiles. Parmi mes calculs je me disais ceci: si j’arriverais à sortir du centre sans être pris, le polisario ne m’aurait plus entre ses mains. En effet, j’étais à dix kilomètres de la liberté, précisément à l’endroit où je fus pris par une patrouille algérienne, sept militaires avec un jeune sergent comme chef et un conducteur en train de prendre leur petit déjeuner dans le véhicule. Le chef de patrouille m’a demandé qui j’étais ? Je répondis que j’étais marocain, prisonnier de guerre évadé du « Rabouni ». Il ne m’avait pas cru car il connaissait la distance qui séparait ce lieu de Rabouni. Une fois arrêté, c’était la déception totale. Mes pieds s’étaient enflés juste quelques minutes après mon arrestation.  Je ne pouvais plus marcher. Le jeune chef de patrouille avait beau appeler le lieutenant, commandant de compagnie qui était un ancien officier issu des rangs pour venir, mais en vain. Il avait exigé pour venir qu’on lui communique la raison, chose qu’ils n’ont pas voulu faire car la communication pouvait être interceptée par les marocains.  Le message est transmis en clair:  « viens avec nous un marocain (marroc) . Je m’étais dit alors: les nôtres allaient intercepter le message et ils allaient se poser la question de qui il s’agissait ? C’était une naïveté de ma part de penser ainsi… Le lieutenant arriva enfin, me banda les yeux, me ligota les mains derrière le dos et je fus transféré à Tindouf. Là, ils me refirent l’enquête de nouveau comme si je venais d’être capturé. Pas de questions concernant la légitimité du conflit, ni de questions sur la guerre des sables de 1963. Juste après l’enquête, le colonel avec son « staff »’ et parmi eux un responsable du Polisario me posèrent une seule question: « pourquoi tu as pensé à t’évader ? ». Je répondis que je cherchais ma liberté. Le colonel répliqua: « il a raison, il ne cherche que sa liberté et c’est le devoir de tout prisonnier ». Le responsable du Polisario me ramena à RABOUNI. Nous avions trouvé les chefs réunis attendant mon retour. Un surnommé « jippou ou jibbou » me passa à tabac.  Il me lia les mains derrière le dos en me piétinant avec rage tout en proférant de gros mots obscènes qui dénotait qu’il n’avait pas reçu une éducation dans un milieu sahraoui. Etant dans cet état, je lui ai dit: « ce que tu me dis, ce ne sont pas des paroles d’homme, tue-moi si tu veux et ne prononce pas ces mots ».  Mes propos eurent l’effet d’une douche froide sur les responsables présents. Ils ont enfin intervenu en l’écartant. Ils désignèrent un autre nommé Chalmaddi ou Charmaddi pour s’occuper de moi, un homme plus calme et peu bavard. Il me ramena au « Centre ». Mon arrivée avait mis fin à la punition collective humiliante qu’avaient subie mes compatriotes officiers qui étaient punis sans épargner personne: ni les personnes âgées, ni les personnes malade ou infirmes. Pour les humilier, le responsable ordonna à la garde de les faire ramper en slip devant les soldats. Ils m’ont mis dans une cellule très étroite: 50 cm x 50 cm et 1 m de haut. Je ne pouvais ni m’asseoir ni me mettre debout. Un autre supplice venait de commencer et qui allait durer 3 mois et 17 jours ».