ALGÉRIE: UNE NOUVELLE CONSTITUTION ET APRÈS ? OU LA DIPLOMATIE QUI SE MILITARISE

L’Algérie a approuvé le 1er novembre 2020 la nouvelle constitution proposée par le Président Abdelmajid Tebboune avec l’espoir affiché de tourner la page de l’ère Bouteflika et de mettre définitivement fin au Hirak qui a failli balayer le régime politico-militaire instauré dans le pays depuis l’indépendance en 1962. Selon les statistiques officielles du gouvernement algérien, 66,8% ont voté pour cette nouvelle mouture avec cependant un taux faible de participation de 23,7%, le plus bas jamais enregistré dans l’histoire récente du pays.

L’Algérie a vécu depuis son indépendance dans une instabilité constitutionnelle permanente qui reflète son instabilité politique à laquelle elle n’arrive pas encore à en trouver l’issue. Un an après l’indépendance, en 1963, elle adopte la première loi fondamentale de son histoire, qui ne durera que deux ans, car elle sera suspendue en 1965 avec le coup d’État de Boumediene. Il faudrait attendre la mort de celui-ci en 1976 pour voir le gouvernement algérien proposer au peuple une nouvelle constitution la même année. Mais cette constitution sera, à son tour, révisée à trois reprises en 1979, 1980 et 1988 pour l’adapter à une société en pleine mutation sous l’ère Chadli Benjdid. Celui-ci essaie, le mieux qu’il peut, de doter le pays d’une constitution qui réponde aux aspirations d’une nouvelle génération d’Algériens qui n’a connu ni la colonisation ni la guerre de libération.

Les révoltes populaires et spontanées des jeunes dans les principales villes algériennes en 1988 poussent le Président Chadli à ouvrir les vannes à un multipartisme totale, auquel ni l’Algérie ni l’establishment militaire, ne sont encore prêts, et propose une nouvelle constitution qui sera adoptée en 1989. Le gouvernement algérien de l’époque demande aux imams comme aux partis islamistes, dont le FIS, d’aider à pacifier les esprits des jeunes pour les impliquer davantage dans la vie politique du pays espérant ainsi mieux les impliquer dans la vie politique. Acculée, l’armée dont est issu Chadli lui-même, est loin de partager cette stratégie d’ouverture et le laisse faire, espérant que le pays sortirait à moindre frais de cette crise. Certains gradés qui ne voulaient pas de cette évolution souhaitaient, quant à eux, le voir s’engluer dans cette entreprise à risque. La constitution est finalement adoptée la même année, et des élections législatives sont annoncées pour désamorcer cette grave crise institutionnelle.

Celles-ci sont organisées en 1991 après l’adoption de la nouvelle constitution qui donna naissance à de nouveaux partis politiques, dont le Front Islamique de Salut (FIS) légalisé par les autorités algériennes le 10 mars 1989. En décembre 1991, le 1er tour des élections fait du FIS le parti politique gagnant en obtenant 48% des suffrages avec 231 sièges sur 430 au grand dam des militaires. Au lieu de créer un climat de confiance et apaiser les esprits, l’ouverture brutale du champ politique a précipité la confrontation entre les différents partis politiques, et entre ses derniers et l’armée. Il n’y aura jamais de 2ème tour puisque l’armée interrompra le processus électoral et instaura l’état d’urgence. La confrontation militaire fera des milliers de victimes, ce qu’on appellera par la suite la décennie noire. Il faut attendre l’année 1996, sous la présidence de Liamine Zeroual, pour voir une nouvelle constitution proposée au peuple algérien et qui sera, elle aussi et à deux reprises, révisée sous le Président Bouteflika en 2002 et puis en 2016.

La constitution algérienne qui vient d’être avalisée le 1er novembre dernier n’est donc que la conséquence et le reflet des turbulences politiques que vit l’Algérie depuis le début de son indépendance. La fin du règne de Bouteflika qui, à 81 ans et affaibli par un AVC depuis 2013, se présenta aux élections présidentielles pour un cinquième mandat, après avoir taillé sur mesure la constitution précédente lui permettant ainsi de briguer plus de deux mandats, laissa un goût amer chez les Algériens. Vu son incapacité à gouverner le pays, un mouvement populaire, le Hirak, prend forme pour sa destitution et l’organisation de la vie politique nationale sur de nouvelles bases cette fois-ci. Ce mouvement, constitué principalement de jeunes, a manifesté dans toutes les grandes villes du pays, chaque vendredi, pour demander le départ de tous ceux, civils comme militaires, responsables d’avoir mené le pays vers ce chaos politico-économique. L’armée algérienne, qui détient le vrai pouvoir, a répondu à certaines de ces exigences, dont la déposition de Bouteflika et l’emprisonnement de certains de ses proches, tout en promettant, encore une fois, une vraie refonte constitutionnelle.

Ce mouvement populaire et pacifique, fut interrompu par la pandémie du coronavirus qui a changé le rapport de force entre la rue et l’armée. Celle-ci, n’ayant plus en face d’elle un mouvement contestataire organisé, proposa un nouveau candidat et un des caciques du régime, aux élections présidentielles en la personne de Abdelmajid Tebboune, qui, une fois élu, a fait à son tour, adopter une nouvelle constitution à la mesure de la volonté des militaires qui l’ont nommé.

Le toilettage apporté à la nouvelle loi fondamentale ne répond à aucune exigence du Hirak. Au contraire, elle est venue renforcer davantage la mainmise de l’armée sur les institutions du pays. Ainsi, le préambule de cette nouvelle mouture réitère la centralité de l’armée : « le peuple algérien nourrit une fierté et une reconnaissance à l’endroit de son Armée Populaire pour la préservation du pays contre toute menace extérieure et pour la contribution essentielle à la protection des citoyens, des institutions et des biens contre le fléau du terrorisme, ce qui contribue au renforcement de la cohésion nationale et la consécration de l’esprit de solidarité entre le peuple et son armée » ; et d’ajouter plus loin: « l’État veille à la professionnalisation et à la modernisation de l’Armée Nationale Populaire de sorte qu’elle dispose des capacités requises pour la sauvegarde de l’indépendance nationale ».

Mais le grand changement réside dans l’article 31 de cette constitution qui stipule que l’Algérie « se défend de recourir à la guerre pour porter atteinte à la souveraineté légitime et à la liberté d’autres peuples, elle s’efforce de régler les différends internationaux par les moyens pacifiques », avant d’ajouter une nouveauté : « L’Algérie peut, dans le cadre du respect des principes et objectifs des Nations-Unies, de l’Union Africaine, et de la ligue arabe participer au maintien de la paix ».

Pendant des années, les gouvernements algériens successifs se cachaient derrière la constitution qui n’autorisait pas l’envoi de soldats à l’étranger pour ne pas s’impliquer dans des conflits dans le monde arabe ou en Afrique, et réserver l’essentiel de ses forces à lutter soit contre l’opposition politique, ou contre les terroristes de l’intérieur qu’elle a elle-même alimentés.

L’envoi des troupes armées à l’étranger est désormais possible selon la nouvelle constitution, mais sous certaines conditions. Toute décision dans ce domaine relève du domaine présidentiel et nécessitera l’approbation des deux tiers des deux chambres comme le stipule plus loin l’article 91. Par cette modification majeure, le gouvernement algérien comme son armée n’ont fait qu’entériner une évidence, à savoir que cette dernière s’est toujours impliquée dans des conflits en dehors de l’Algérie. D’abord directement, et à plusieurs reprises, contre son voisin le Maroc, et indirectement, par Polisario interposé, pour ne citer que cet exemple-là. Ensuite, dans d’autres champs de bataille comme lors des guerres arabo-israéliennes ou lors de l’embargo international contre la Libye de Mouammar Kadhafi en mettant à sa disposition un escadron de MIG 21 à Benghazi pour protéger son espace aérien.

Dire que l’armée algérienne ne s’impliquait pas, par le passé, dans les conflits internationaux, c’est aller trop vite en besogne. Du reste, les services secrets militaires algériens ont, de tout temps, opéré à l’extérieur du pays, soit pour instaurer des partenariats avec les pays autrefois socialistes ou des régimes militaires, soit pour financer ou armer des mouvements d’indépendance afin d’influer sur les cours de certains conflits. Ce feu vert donné pour se redéployer en dehors de l’Algérie est maintenant inscrit dans la loi fondamentale, et permettra à coup sûr à l’armée algérienne, et surtout à sa diplomatie, d’opérer en plein jour, après avoir opéré dans l’ombre, et d’être plus visible à l’étranger en participant éventuellement aux opérations de maintien de la paix des Nations-unies.

Mais l’armée pourra-t-elle se redéployer à l’étranger pour consolider réellement la paix dans le monde alors que le pays est encerclé par deux foyers de grave intensité que sont les conflits libyen et malien pour ne citer que ceux-là ? Et la révision opérée maintenant de ce sacro-saint principe d’intervention militaire à l’étranger ne mènera-t-il pas un jour vers la révision de l’article 32 qui stipule quant à lui que « l’Algérie est solidaire de tous les peuples qui luttent pour la libération politique et économique, pour le droit à l’autodétermination et contre toute discrimination raciale ». C’est ce principe à géométrie variable qu’il faudrait qu’un jour l’Algérie révise pour qu’elle soit enfin conséquente avec elle-même et avec son environnement proche.

Ahmed Faouzi, chercheur en Relations internationales. Docteur en coopération internationale de Paris I Sorbonne et de Paris VII Jussieu Paris.