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Après quinze années d’attente : le Maroc s’apprête-t-il enfin à tourner la page des lois “impunies” ?

Par: Mohamed KHOUKHCHANI

Par: Mohamed KHOUKHCHANI

Après un silence institutionnel de plus de quinze ans et un dépassement manifeste du délai constitutionnel fixé à cinq ans, la question du contrôle a posteriori de constitutionnalité des lois refait surface avec une intensité inattendue.

La récente intervention du Club des magistrats du Maroc, lors de la réunion de la Commission de justice et législation à la Chambre des représentants, a agi comme un électrochoc juridique.

Les magistrats n’ont pas seulement formulé des remarques techniques ; ils ont ouvert le débat sur l’un des chantiers les plus sensibles laissés en suspens depuis la Constitution de 2011.

Un retard de 15 ans… et un vide constitutionnel aux effets réels

Le premier grief des magistrats concerne le retard anormal dans l’adoption de la loi organique 35.24. Ce texte, indispensable pour permettre au citoyen de contester la constitutionnalité d’une loi portant atteinte à ses droits, aurait dû entrer en vigueur au plus tard en 2016.

Ce report interminable a créé un vide constitutionnel, privant les justiciables d’un mécanisme central de protection des libertés, mécanisme pourtant courant dans les démocraties avancées.

L’article 27 : l’élément qui a enflammé le débat.

Le point le plus controversé demeure l’article 27 du projet, qui vise de facto à exonérer l’État et le législateur de toute responsabilité en cas d’adoption d’une loi ultérieurement déclarée inconstitutionnelle.

Pour le Club des magistrats, cette disposition contredit frontalement le principe fondamental de la responsabilité accompagnant la reddition des comptes.

Les magistrats proposent une alternative : reconnaître au citoyen le droit à indemnisation pour “faute législative”. Autrement dit, si une loi inconstitutionnelle cause un préjudice, l’État doit en répondre.

Vers une extension du champ de contrôle

Le Club recommande également :

● l’inclusion des juridictions financières,
● des juridictions militaires,
●et de toute instance appliquant des lois susceptibles d’être contestées.

Objectif : empêcher qu’un pan entier de la législation échappe au contrôle constitutionnel.

Un dispositif protégé contre les abus

Les magistrats soulignent cependant la nécessité de :

● frais judiciaires raisonnables,
● condamnation du perdant aux dépens et honoraires, afin de prévenir les recours abusifs et les stratégies destinées à ralentir les procédures.

Le Maroc au regard des standards démocratiques internationaux

Voici un aperçu comparatif utile au lectorat étranger :

France : La QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité).

En vigueur depuis 2010, elle permet à tout justiciable de contester une loi portant atteinte aux droits constitutionnels. Les décisions du Conseil constitutionnel entraînent l’annulation immédiate du texte.

Allemagne : Le modèle le plus abouti en Europe.

Le recours individuel est direct.

La responsabilité de l’État pour faute législative est admise dans plusieurs cas.

Espagne : Les juges peuvent saisir directement la Cour constitutionnelle lorsqu’ils doutent de la conformité d’une loi.

États-Unis : Tout juge, dans n’importe quelle juridiction, peut écarter une loi contraire à la Constitution.
Les mécanismes d’indemnisation existent pour les préjudices causés par des lois illégales ou inconstitutionnelles.

Conclusion : un tournant constitutionnel attendu depuis 2011.

La prise de position du Club des magistrats du Maroc marque une rupture : elle affirme clairement que l’ère de l’“intouchabilité législative” doit prendre fin.

La véritable question aujourd’hui est la suivante : le Maroc saisira-t-il enfin cette occasion historique pour instaurer un contrôle effectif des lois et reconnaître la responsabilité législative ?

L’avenir du projet 35.24 dira si le Royaume franchira le pas vers une démocratie constitutionnelle pleinement assumée.

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