Par Khadija BOUTNI
À l’occasion de la Journée internationale des Droits des femmes, l’association Terre Humanisme Maroc, en partenariat avec d’autres associations, a organisé une journée civique à la ferme pédagogique Janan Lakbir à Dar Bouazza.
Durant cette journée, des femmes agriculteurs ont présenté leurs produits du terroir, et des ateliers de yoga, de jardinage… ont eu lieu.
Après une fine pluie tant attendue, l’atmosphère baignait dans une joie en pleine verdure, accompagnée de chants de musique de Lhoud…
Beaucoup d’associations de femmes venant d’autres villes comme Marrakech, Had Soualem, Rabat, Sidi Laidi, Ben Slimane, Beni Mellal, Meknès appartenant au réseau de l’environnement ont été présentes pour l’échange et le networking.
Un hommage en faveur de la doyenne rurale Hajja Saadia, surnommée Nawal en référence à la championne Nawal El Moutaouakil parce qu’elle servait ses clients avec beaucoup de célérité, de professionnalisme et de bienveillance.
Hajja Saadia Nawal se rappelle bien l’histoire de la ferme où se déroulent les activités de cette célébration.
« Janan Lakbir, racontait-elle, appartenait aux ayants droit du grand-père de mon défunt mari, qui l’ont vendu à Mme Fattouma Benabdenbi de « Terre Humanisme Maroc » pour en faire une ferme pédagogique et prôner l’agroécologie ». Lors du protectorat, on y organisait des fêtes avec Chikhates et Mechoui en plein air ».
50 cultivateurs qui allaient abandonner leurs terres et émigrer en ville ont été sauvés par cette association qui milite depuis 20 ans.
Hajja Saadia Nawal fait l’agriculture naturelle depuis son jeune âge. « Depuis que j’avais 14 ans à peu près, le fait de sentir la terre, d’être près des animaux m’aident pour gagner de l’argent et comprendre la vie, et la puissance de Dieu. Je l’ai même apprise à mes enfants qui, à leur tour l’exercent ».
« Il y a des gens à qui ça ne réussit pas, parce que leur for intérieur est dépourvu de « Niya » (foi) et leur main n’a pas de Baraka. Moi je l’ai faite tout au long de ma vie en ayant mes enfants, j’en ai eu, 13 dont 02 décédés.
Plusieurs fois j’ai accouché toute seule, j’étais jeune, j’avais la santé et l’entraide en famille était la règle. J’ai travaillé de longues années comme vendeuse de lait, de beurre, d’haricots, de plantes médicinales à la plage de Tamaris, c’est grâce aux revenus de cette activité que j’ai pu aller deux fois aux lieux saints. Après je me suis occupée de mon exploitation. Je donnais aussi des recettes aux gens pour guérir certaines maladies comme l’asthme… Actuellement je vis de mes poules, de mes œufs et j’ai loué mon exploitation à une dame qui fait aussi de l’agroécologie. Les veuves comme moi reçoivent parfois de l’aide de l’Etat sous forme de sucre, de thé, de farine mais la dernière fois on m’a loupée !
Lors de la campagne électorale, des cours d’alphabétisation sont lancés, je ne connais pas la raison de leur arrêt en ce moment. La femme instruite a plus des droits, mes 5 filles n’ont malheureusement pas bénéficié de l’école.
Dans le temps, j’avais peur pour elles … on se contente de leur enseigner la cuisine, le travail aux champs et le tissage. Je faisais 7 djellabas par an et beaucoup de tapis Boucherouit’’ qui étaient très demandés par les étrangers pour subvenir aux besoins de ma famille.
J’étais membre dans 3 associations, ce que je leur reproche, c’est que lors des réunions, elles discutent en français, c’est mon fils qui se charge de la traduction pour que je suive. Quand il n’est pas là , je reste sur ma faim, j’ai beaucoup de choses à montrer aux gens qui s’adonnent à l’agriculture naturelle, c’est grâce à mes expériences en ce domaine, que je suis respectée par les gendarmes, la commune. Il y a même un médecin à Ouled Jerrar qui refuse de se faire payer quand je me rends chez lui au cabinet.
La vie a beaucoup changé Dieu merci, on a plus de moyens pour se déplacer, on a un hôpital, des écoles environnantes mais les gens travaillent avec moins de « Niya », même les youyous qu’on lance à la naissance du bébé ne se pratiquent plus …
Avant on mettait Lben dans des trous pour que les chiens viennent le consommer, maintenant on le vend à 05 dirhams le litre !
Mme Fattouma Benabdenbi m’a beaucoup aidée, elle m’a fait connaitre plusieurs personnes ressources et Pierre Rabhi -que Dieu ait son âme- était impressionnée par mon parcours et mes expériences dans le domaine de la terre.
Le grand artiste Hassan El Fad a tourné sa série chez moi, nous avons passé d’agréables moments en sa présence accompagnée de son équipe ».
Ce qui est scandaleux chez cette femme de 94 ans qui a travaillé la terre, tissé des tapis, écouté les gens, vendu des produits, donné des conseils en matière d’agroécologie, élevé des enfants, guéri certaines maladies c’est que sur sa carte d’identité nationale – qu’elle n’a pas encore renouvelée – c’est marqué « SANS TRAVAIL » dans le champ profession !
Quand j’ai fait la remarque à Hajja Saadial Nawal qui présente toute une mémoire non pas pour son « douar » mais dans tout le pays, elle m’a répond: Moi j’ai reçu beaucoup de cadeaux lors de cet hommage mais elles ont oublié de m’emmener un mari, dit-elle, avec son humour subtil qui a fait rire une large assistance.