La carrière du légendaire Abdelkader Lokhmiri a commencé dans les terrains vagues de l’ancienne médina à Casablanca. Il jouera après avec le WAC nationaliste du temps du protectorat avant de quitter le Maroc pour la France à la fin de la deuxième guerre mondiale.
Professionnel, il est devenu le chouchou du public français et de la presse qui l’avait surnommé le «bombardier» ou la «bombe atomique» en raison de la puissance de ses tirs. Au début des années cinquante, il a fait une virée en Algérie où il dirigea, en tant que joueur-entraîneur, l’équipe de de Tlemcen.
Au Maroc, il est devenu l’entraîneur qui détient le plus grand palmarès en coupes (coupe du Trône et coupe Mohammed V) et en championnat en entraînant plusieurs équipes dont le Chabab de Mohammedia, le RBM, le KAC, le WAC, le Raja et autres.
Mais Lokhmiri l’homme jovial, élégant, bon vivant, boute-en-train n’avait pas d’égal en amusant toujours la galerie avec ses boutades et ses piques quand il évoquait ses adversaires.
Lokhmiri aimait les belles femmes, mais quand il est devenu professionnel en France, il s’en est privé pendant quelque temps afin, disait-il, de garder la forme. Un jour, il a souffert d’un abcès qui l’avait énormément gêné sur le terrain et l’avait obligé à prendre quelques jours de repos.
Les médecins de l’équipe lui ont administré un traitement de choc sans résultat. L’un d’eux a toutefois compris de quoi il s’agissait et lui a demandé s’il avait une petite amie. Lokhmiri a répondu par le négatif et lui a révélé qu’il n’a pas eu de rapports sexuels depuis qu’il est venu en France, soit durant trois ou quatre mois. C’est comme cela que les médecins ont su l’origine du mal et lui ont prescrit un traitement, racontait Lokhmiri en rigolant.
Même quand il a pris de l’âge, Lokhmiri a continué à aimer les belles femmes. Un jour, il était avec ses amis à l’hôtel Miramar de Mohammedia où séjournait dans le temps le personnel d’Air France. Il était attablé sur la terrasse devant la piscine quand une belle hôtesse de l’air est sortie de l’eau. Lokhmiri tout admiratif s’est tourné vers ses amis pour s’exclamer: «Mon dieu, quel requin bleu!», allusion faite au maillot de bain bleu qu’elle portait.
Loin des femmes, Lokhimiri avait aussi beaucoup de relations avec les politiques de tous bords sans qu’il ait jamais adhéré à un parti politique. Feu le roi Hassan II le connaissait depuis qu’il était prince héritier et avait beaucoup de sympathie pour lui. Un jour, le Roi qui venait souvent jouer du golf à Mohammedia, l’avait rencontré par hasard et lui a demandé comme il allait. La réponse fut immédiate: «Sidna, je n’ai que onze joueurs sous ma direction et ils m’ont rendu fou, je ne sais pas comment vous faites avec 20 millions de Marocains?».
Une fois, feu Maati Bouabid, ex-premier ministre et ex-dirigeant du Raja, avait invité d’anciens amis français qui résidaient au Maroc et qui connaissaient bien Lokhmiri. Comme il est de coutume chez nous, Bouabid les a accueillis chaleureusement chez lui et les a gâtés lors d’un dîner où il leur a servi Méchoui, Pastilla, Tagine, et Rfissa. Quand la Rfissa a été servie, un Français a demandé à Maati Bouabid de quoi il s’agissait. Difficile de traduire alors il s’est retourné vers Lokhmiri qui a vite trouvé la parade en lançant «cafouillage au poulet»! Rfissa qui au sens figuré signifie mélange indescriptible étant assimilé par Lokhmiri à un cafouillage dans le carré des 18 mètres où plusieurs joueurs des deux camps se disputent le ballon.
Toujours à propos de Maati Bouabid, le légendaire entraîneur du football, Abdelkader Lokhmiri, qualifiait le Raja de «Parlement». Avec son sens de l’humour qui le distinguait, il faisait allusion à la stature des dirigeants des Verts dans les années 80: Maati Bouabid, Abdelwahad Maach, Abdellatif Semlali et les autres.
Mais en privé, le boute-en-train qu’il était, complétait sa phrase : «Le Raja est un Parlement où tout le monde s’oppose à tout le monde». Des décennies après cette boutade de Lokhmiri, le Raja n’a pas changé, il ressemble toujours à un Parlement où il y a des opposants et des…opposants.
Comble d’ironie, il arrive à Lokhmiri de s’opposer à lui-même comme une fois quand un joueur du Chabab avait raté un but tout fait. Lokhmiri qui était sur le banc de touche, s’est levé et s’est écrié : «Mais qui est cet imbécile qui a fait entrer ce joueur ?» Il a oublié, le temps de piquer une colère, qu’il était l’entraîneur de cette équipe. Quand après le match, ceux qui étaient sur le banc de touche lui ont rappelé ce qu’il avait dit, il a répondu: «Vous voyez, on m’accuse toujours d’être virulent dans mes critiques, eh bien voilà, je n’épargne pas, même pas, ma personne quand je me trompe.»
Sacré Lokhmiri! Il trouvait toujours les bons mots au bon moment.