Dans le contexte actuel de la crise, beaucoup d’auteurs ont livré leur analyse de la situation et esquissé des pistes pour l’avenir.
Dans son dernier ouvrage «l’économie de la vie», écrit pendant le confinement, l’écrivain et économiste français Jacques Attali plaide pour la reconversion des industries vers les secteurs essentiels à la vie de l’homme (hygiène, alimentation, éducation, digital etc).
Pour M. Attali, la pandémie de la Covid-19 ne sera ni la première ni la dernière crise sanitaire que l’humanité connaîtra. C’est pour cette raison qu’il incite les Etats à «se préparer à ce qui vient».
Dans quatre questions à la MAP, le penseur français que l’on surnomme «l’homme qui murmure à l’oreille des présidents», auteur de plus 80 ouvrages traduits en 22 langues, évoque l’urgence de «passer de l’économie de la survie à l’économie de la vie » qui regroupe tous les secteurs qui se donnent pour mission la défense de la vie et dont on constate tous les jours l’importance vitale.
1 – Depuis le début de la crise sanitaire que nous traversons, on a entendu beaucoup de médecins, de politiciens, d’économistes mais trop peu d’intellectuels. Pour quelle raison à votre avis ?
C’est un peu injuste parce que nous avons entendu beaucoup de monde. Nous avons entendu les philosophes, les historiens, les écrivains, les journalistes, les sociologues. Mais le mot intellectuel aujourd’hui a perdu un peu de son sens. Il n’y a plus d’intellectuels qui, à une certaine époque étaient entendus en tant que tels et reconnus comme tels. Il y a plus des spécialistes dans des domaines particuliers. C’était normal dans cette crise que l’on entende d’abord les médecins et les économistes qui se sont contredits.
2- Vous avez beaucoup parlé de l’économie de la vie lors de cette crise, plaidant à investir dans le bien être de l’homme. Est-ce que vous pensez que l’humanité est capable de faire ce choix ?
L’humanité a fait en partie ce choix, parce que l’économie de la vie représente selon les pays entre 20 et 60% du PIB déjà. Donc, ce n’est pas quelque chose d’inexistant. L’économie de la vie existe déjà très largement, mais ce que l’humanité doit comprendre aujourd’hui, c’est qu’il ne faut pas que ce pourcentage soit de 50 ou de 60 % mais 80 % ou plus de ce qu’on produit doit être lié à l’économie de la vie. Tout le reste devra être réduit : l’aviation, l’automobile, la chimie etc.
La crise actuelle a montré que les gens ont moins envie d’acheter un tee shirt toutes les semaines, de changer de voiture tous les deux ans etc. Cela correspond à des mutations qui sont en marche. Le rôle des politiques serait d’accélérer ces mutations et de faire en sorte que les investissements soient concentrés sur l’éducation, la santé, l’alimentation, l’hygiène, le digital, la distribution, la sécurité, la culture, la démocratie, l’énergie propre, la gestion des déchets, l’eau etc. Toutes les industries dont je parle dans mon livre «l’Economie de la vie», même si l’Etat ne fait pas l’effort nécessaire, la demande s’oriente vers ces secteurs.
3 – Quels enseignements doivent tirer notamment les pays en développement comme le Maroc par exemple de cette crise planétaire ?
Chacun s’est conduit différemment. Si on parle spécifiquement du Maroc. Il s’est particulièrement bien conduit même s’il souffre beaucoup actuellement parce que la crise a touché un secteur majeur de son économie qui est le tourisme. Mais en termes de conduite, la production de masques, la production autonome de médicaments et de respirateurs étaient essentielles, la production agricole aussi. Ça montre que le Maroc pourrait être un partenaire privilégié de souveraineté de l’Europe. Il vaudrait mieux produire des masques, des médicaments, des respirateurs et des outils essentiels de l’économie de la vie au Maroc qu’en Chine ou dans des pays moins proches et moins fiables. Donc le Maroc a un rôle nouveau à jouer que cette crise révèle. Les Européens ont bien compris que le Maroc est un partenaire privilégié.
4 – Avec la crise actuelle nous avons assisté à un retour de l’Etat. Est-ce que le monde de demain sera celui de l’Etat interventionniste, régulateur, autoritaire ?
L’Etat régulateur c’est la moindre des choses. En matière de santé, il faut fixer des normes parce que nous avons tous besoin que chacun se protège pour protéger les autres. L’Etat interventionniste aussi c’est l’Etat qui agit, qui produit, qui oriente. Dans les moments comme ceux que nous traversons où j’ai parlé de la nécessité d’une économie de guerre pour aller plus vite vers ce qui est essentiel. Et là le rôle de l’Etat est nécessaire. L’économie de guerre est celle qui accorde plus d’importance aux quantités qu’aux valeurs. Et c’est ça que nous devons faire aujourd’hui. Maintenant il faut que l’Etat soit net, honnête, transparent parce que l’économie de la guerre est aussi un moment qui peut encourager et provoquer des sources de corruption extrêmement vastes. Donc oui à l’Etat puissant à condition qu’il soit honnête.