Anatomie d’un scrutin (Par Driss AJBALI, sociologue-essayiste)

Par Driss AJBALI*

 

S’il fallait retenir des figures symboliques pour illustrer l’échec du Rassemblent national au second tour des législatives françaises, deux cas sont particulièrement éclairants: Caroline Le Pen et Habib Meyer.

Caroline le Pen, fille du fondateur du FN, sœur de Marine et mère de la petite copine de Bardella, n’a pas pu décrocher son siège. Bien que de justesse, elle est battue malgré son patronyme. Celui-ci, loin de la servir comme atout, a fonctionné comme un répulsif, au moment même où la France est considérablement lepénisée.

Habib Meyer, tonitruant député sortant de la huitième circonscription des Français de l’étranger, est aussi battu, de manière éhontée. Sans gêne, jusqu’à la vulgarité, Meyer confondait allègrement le Parlement français avec le Knesset. Ostentatoirement ami de Benyamin Netanyahou, il n’a eu de cesse, depuis le 7 octobre, de faire de toute personne, musulmane soit-elle ou non, qui proteste contre l’offensive israélienne à Gaza, un partisan du Hamas et systématiquement un potentiel antisémite.

SI autrefois on qualifiait Alain Juppé d’être un Amstrad, Jordan Bardella serait plutôt un cyborg. Produit du média-training et du Tiktok, soutenu par les médias de Bolloré, le jeune de 28 ans n’a pas pu fendre ou ne serait-ce que fissurer le plafond de verre, cette malédiction de l’extrême droite. Il lui a échappé que ce scrutin a pris, depuis le premier tour, un caractère référendaire. Plus que de voter pour des programmes et d’élire des députés, la question qui devint urgente est la suivante: pour ou contre le Rassemblement national ?

Après le score insolent du premier tour, le RN est relégué, dans ce second tour, à la troisième place. Jordan Bardella sommait l’électeur de placer le RN non seulement à la première place mais exigeait, avec une certaine outrecuidance, qu’il se voit offrir la majorité absolue. Ainsi, comme une réponse à cette arrogance, le peuple français, dans un sursaut dont il a le secret, lui a infligé, avec une exceptionnelle maturité politique, un camouflet dont il se remettra difficilement. Je parie que le binôme Marine et Bardella est mort. Et c’est la première qui achèvera le second.

L’épisode que vient de vivre le Rassemblement national n’est pas sans rappeler les législatives de 1978. La gauche, à l’époque, au bord d’un succès s’apprêtait à une cohabitation avec Giscard d’Estaing quand, au second tour, elle perdra d’un cheveu le scrutin. Trois ans plus tard, en 1981, François Mitterrand rempotera la timbale. Un tel scenario est en passe de devenir un songe pour Marine Le Pen.

Le scrutin majoritaire à deux tours, spécificité française, est connu pour sa capacité de permettre le choix au premier tour et de favoriser redoutablement l’élimination au second. La frustration des 10 millions de français qui ont porté, au premier tour, leur choix sur le RN, risque de se transformer en soupçon politique accusant les victorieux de magouille. Ce qui est de nature à les radicaliser.

Rater de peu la marche du pouvoir, même en doublant le nombre de ses députés reste pour le RN une amère humiliation. Toutefois, les questions saillantes et les profondes crises qui ont fait sa fortune demeurent proéminentes. Avec sa décision hâtive, la dissolution de Macron, qui s’avéra en vérité une autodissolution, n’arrange rien à l’affaire. D’autant que in fine, il a transféré l’inimaginable pouvoir de l’Élysée à celui d’un parlement avec, circonstance aggravante, une assemblée ingouvernable.

*Sociologue-essayiste