La signature par le président tunisien Kaïs Saïed, le 22 avril dernier, d’un décret-loi portant amendement de la loi organique régissant l’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE), a suscité une polémique sur l’avenir du processus électoral dans le pays.
Parmi les amendements figurent ceux stipulant que le Conseil de l’ISIE est composé de sept membres nommés par arrêté présidentiel, dont trois membres choisis par le président de la République et que le mandat de chaque membre du Bureau de l’ISIE sera de quatre ans, non renouvelable.
En vertu de ces amendements sujets de controverses figure aussi l’article 14 qui, dans son premier alinéa (nouveau), indique que le président de l’ISIE ou l’un des membres de son conseil ne peut être poursuivi en justice ni suspendu pour des faits ayant lieu lors de leur mandat.
Manifestement, la nomination d’une autre composition de l’ISIE, qui a pourtant, à son actif, l’organisation de quatre grands scrutins réussis en 2011, 2013,2014 et 2019, vient renforcer la crise politique et raviver les craintes sur la crédibilité des futures échéances.
Il s’agit d’une décision majeure annoncée à trois mois d’un référendum (prévu le 25 juillet) et à six mois d’un scrutin législatif (attendu au mois de décembre) que cette instance est censée superviser en toute indépendance.
Comme il fallait s’y attendre, de nombreux partis et organisations de la société civile ont émis de grandes réserves à ce projet susceptible de rendre cette instance électorale docile.
Excepté l’Alliance pour la Tunisie, qui a défendu la décision présidentielle en qualifiant la révision de certaines dispositions de la loi organique portant création de l’ISIE comme un acquis sur la voie du processus de « rectification » et en estimant que cette instance n’a jamais été indépendante, les autres réactions ont été hostiles à cette décision.
L’actuel président de l’ISIE, Nabil Baffoun, a fait savoir que l’instance électorale « n’est plus indépendante : Son prochain conseil et son prochain président seront nommés par le Président de la République », jugeant que cet amendement « frappe le principe de l’indépendance de l’ISIE ».
De son côté, le réseau « Mourakiboun » considère qu’ »il n’y a pas de raison de changer la composition de l’Instance pendant la période des dispositions exceptionnelles, exprimant ses craintes, en termes d’atteinte à l’indépendance de l’ISIE, la crédibilité du processus électoral dans son ensemble, et d’acceptation des résultats des prochaines échéances électorales.
La coalition des partis socio-démocrates (Attayar, Al Joumhouri et Ettakatol) a considéré, pour sa part, que la promulgation de ce décret-loi « marque un retour à l’ère des élections falsifiées et de la déformation de la volonté des électeurs ».
La coalition a rappelé que l’ISIE garantissait l’alternance politique pacifique et le maintien de la démocratie en Tunisie.
Pour le Front de salut national, lancé à l’initiative de la figure politique Ahmed Nejib Chebbi, cette décision dépouille l’instance de toute légitimité et de crédibilité des résultats qui en émanent.
Quant au chef du mouvement Ennahdha (islamiste), Rached Ghannouchi, il a rejeté catégoriquement le décret amendant la loi de l’ISIE, dans la mesure où il est « en totale contradiction avec la Constitution, notamment, l’article 70″, qui considère la dissolution de l’ISIE comme la dernière étape pour achever le projet démocratique.
Pour Mabrouk Kourchid, président du parti » Erraya al Watania », le décret présidentiel est un « coup de grâce » à la démocratie en Tunisie. Il a dénoncé la non-participation des partis politiques et de la société civile dans plusieurs affaires du pays.
Ces réactions hostiles ne sont pas circonscrites au plan national. Des parties étrangères ont exprimé leur appréhension sur l’éloignement de la Tunisie du processus démocratique.
Il en est ainsi de l’ONU qui a mis en garde le 22 avril, par la voix de son porte-parole associée du Secrétaire général de l’ONU, Eri Kaneko, contre « l’éloignement » de la Tunisie de la démocratie, mettant l’accent sur l’importance du dialogue entre les différents protagonistes locaux.
Même son de cloche au Sénat américain. En effet, le président du Comité des Affaires étrangères au Sénat américain, Jim Risch, a considéré que la révision de la loi portant création et organisation de l’Instance supérieure indépendante pour les élections s’inscrivait dans le cadre de la désintégration des institutions démocratiques de la Tunisie et que ceci portait atteinte aux relations diplomatiques du pays.
Au regard des récentes évolutions, de sérieuses inquiétudes sont exprimées sur l’avenir du processus démocratique en Tunisie et sur les risques d’un éventuel report des prochaines échéances électorales, décision que la majorité de la classe politique et sociale n’est pas prête à avaliser.