Dans une interview sans filtre au site espagnol 20MINUTOS, l’écrivain marocain Nabil Driouch décortique « l’amitié querelleuse» entre Rabat et Madrid

Dans un paysage médiatique espagnol très hermétique, avoir voix au chapitre relève d’une gageure. Notre confrère Nabil Driouch fait partie des rares spécialistes des relations maroco-espagnoles à (tenter) et réussir le coup. Au prestigieux 20MINUTOS, site indépendant basé à Madrid (1 million de lecteurs) et diffusé à large échelle en Europe, notamment à Paris grâce à sa version francophone, il vient d’accorder une interview intéressante sur son son livre paru récemment en espagnol chez l’éditeur Diwan spécialisé dans le dossier des relations maroco-espagnoles: « VECINDAD CAUTELOSA » (en français: « LE VOISINAGE PRUDENT »).

Dans ce livre, sorti en arabe en 2015, M. Driouch, ancien correspondant de presse à Madrid, revient sur les relations hispano-marocaines depuis la mort du Roi Hassan II jusqu’à l’abdication du Roi Juan Carlos 1er. Un livre frappé au coin du bon sens historique puisqu’il porte sans complaisance un regard lucide sur ces rivages proches et (pourtant) lointains entre deux royaumes dont les relations ont été tout sauf un long fleuve tranquille.

« Et si on vous demandait de décrire en quelques mots les relations entre l’Espagne et le Maroc, quels seraient-ils? », lui demande son interviewer Emilio Ordiz. « Une amitié querelleuse », résume Nabil Driouch. « Nous étions récemment dans l’une des situations les plus critiques de nos relations au cours des deux dernières décennies, mais nous sortons du tunnel. Il y a toujours eu des moments de crise bilatérale; nos relations sont l’une des plus compliquées au monde car elles appartiennent à deux civilisations différentes, mais ce point doit devenir un élément de force et non de conflit. Il nous faut faire une nouvelle lecture de nos histoires pour sortir de l’équation qui a déterminé nos relations historiques: celle des Maures contre les Chrétiens, notons que le Maure pouvait parfois être de confession juive« , explique l’écrivain et néanmoins confrère Nabil Driouch.

Une critique à peine voilée de la vision monolithique, passéiste et clichétique, qu’une partie non négligeable des Espagnols a des Marocains, souvent associés dans l’imaginaire du voisin du nord au « MOROS  envahisseur », sur lequel pèse encore un regard teinté de méfiance et de suspicion. En revanche, l’auteur invite à capitaliser sur les points qui nous rapprochent plutôt que de s’appesantir sur ceux qui nous séparent.

Rabat-Madrid: éloge du pragmatisme

Dans le livre, M. Driouch évoque avec un brin d’affection l’étape Zapatero, ex-président socialiste du gouvernement espagnol, qualifiée d’« étape du consensus« . « Il y a eu un profond changement générationnel au sein de l’élite socialiste, je pense que la nouvelle génération de dirigeants socialistes est moins pragmatique et connaît moins le Maroc. Je crois personnellement qu’ils ont une idée du Maroc qui n’est pas vraie, c’est pourquoi il y a eu une mauvaise lecture des divers événements liés à ce pays« , relève l’auteur, en référence à l’actuelle élite socialiste conduite par Pedro Sanchez.

« J’ajouterais une autre personnalité qui est Felipe González. Grâce au pragmatisme politique de González, les deux pays ont pu faire un pas de géant dans la coopération bilatérale, de plus le roi Juan Carlos Ier connaissait très bien le Maroc et facilitait les contacts avec le roi Hassan II: les deux ont fondé ce que l’on appelle aujourd’hui la diplomatie royale. A mon sens, ces trois personnalités sont les véritables fondateurs de la coopération bilatérale après l’indépendance du Maroc« .

« Les relations sont toujours en bonne santé lorsque le pragmatisme politique domine. Une fois que vous vous rapprochez de la zone de l’idéologie, vous ressentez la tourmente. Je pense que l’élite espagnole doit mieux connaître la nouvelle réalité marocaine. De même, les médias espagnols ont le devoir de parler de cette réalité et de laisser les clichés au placard de l’histoire« , exhorte l’auteur. 

Interrogé sur l’avenir de ces relations, M. Driouch conclut sur une note d’optimisme. « Plus de coopération, plus de connaissances et moins d’ignorance« .