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Réflexions et débats de lecollimateur.ma sur le projet actualisé de l’Initiative Marocaine d’Autonomie. La Lombardie, un modèle à suivre pour le Sahara ?

Par: Marco BARATTO

Dans la foulée des contributions du journal Lecollimateur.ma à la réflexion visant à élaborer une version actualisée et enrichie du plan d’autonomie, Marco BARATTO, expert italien en relations internationales, réagit à l’intéressant article de notre collaborateur Mohamed KHOUKHCHANI, paru sous le titre « Autonomie au Sahara: La plateforme actualisée pour une solution durable (2005) », et invite à méditer sur le modèle de la région Lombardie, en Italie, « comparable dans son poids économique à ce que représenterait la région du Sahara dans le développement futur du Maroc ». Une proposition qui mérite attention au moment où le Maroc se prépare à présenter un modèle d’autonomie pionnier à l’échelle africaine et arabe. Voici in extenso l’article de notre collaborateur Marco BARATTO. 

Par: Marco BARATTO

Dans un contexte international marqué par la recherche de solutions politiques réalistes et durables aux conflits régionaux, l’Initiative marocaine d’autonomie pour le Sahara représente aujourd’hui une approche mature, institutionnelle et juridiquement solide. Le « Projet d’Actualisation de l’Initiative Marocaine d’Autonomie (2025) », développé sous l’égide des Nations Unies et à partir des Hautes Orientations Royales, s’inscrit dans cette dynamique. Il vise à préciser les contours d’une autonomie régionale avancée, reposant sur une délimitation claire des compétences entre l’État central et les institutions de la région du Sahara. Cette démarche, fondée sur la souveraineté du Royaume du Maroc et la reconnaissance constitutionnelle d’un statut d’autonomie régional, appelle à une réflexion comparative particulièrement intéressante avec certaines réalités européennes, et notamment italiennes.

Le texte élaboré par Mohamed KHOUKHCHANI a le mérite de mettre en lumière avec précision les fondements de ce projet marocain d’autonomie : le rôle du Parlement régional élu, la responsabilité du gouvernement régional, les compétences exclusives de la région, et la garantie constitutionnelle de la continuité et de la pérennité de ce statut. Ce modèle, dans sa structure comme dans son esprit, se rapproche de formes de régionalisation avancée déjà existantes en Europe. Et pour moi, en tant qu’Italien, il évoque immédiatement l’expérience italienne des régions à statut spécial et celle de l’autonomie différenciée en cours d’évolution pour les régions ordinaires.

L’Italie a effectivement développé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale un système de protection politico-territoriale visant à prévenir les tensions séparatistes et à renforcer l’unité nationale par la reconnaissance de particularités régionales. La Sicile fut la première à obtenir en 1946 un statut spécial, avant même l’entrée en vigueur de la Constitution républicaine. Cette mesure n’était pas un geste symbolique, mais une réponse institutionnelle raisonnée à un moment de forte agitation indépendantiste. Entre 1943 et 1946, le mouvement séparatiste sicilien fut actif, armé, et soutenu par une partie de la population locale. L’octroi d’un statut constitutionnel d’autonomie permit d’apaiser le conflit, de garantir les droits culturels et administratifs, et de reconduire l’île au sein du cadre national italien avec un niveau élevé de gestion locale.

Par la suite, en 1948, les statuts de la Vallée d’Aoste, de la Sardaigne et du Trentino-Alto Adige furent approuvés, et en 1963 celui du Friuli-Venezia Giulia, région frontalière historique dont la sensibilité géopolitique exigeait une attention particulière. Ce modèle italien d’autonomie différenciée sous contrôle de l’État central présente des parallèles frappants avec le projet marocain pour le Sahara : il repose sur le respect intégral de la souveraineté de l’État, la protection des identités locales et une distribution équilibrée des compétences.

Ce parallélisme devient encore plus intéressant lorsque l’on considère la réforme constitutionnelle italienne de 2001, qui a renforcé l’autonomie des régions ordinaires et introduit la possibilité d’une autonomie différenciée selon l’article 116, troisième alinéa, de la Constitution. Le système actuel prévoit que toute région peut demander des compétences supplémentaires, à condition de garantir les niveaux essentiels de prestation (LEP) sur l’ensemble du territoire national. Cette évolution démontre que la décentralisation moderne ne vise pas le démembrement des États, mais la gestion optimisée des ressources asymétriques et des identités territoriales, au sein d’une souveraineté unitaire.

Dans ce contexte, la Lombardie occupe une place particulière, comparable dans son poids économique à ce que représenterait la région du Sahara dans le développement futur du Maroc. La Lombardie représente près de 1/6 de la population italienne et environ 22 à 22,7 % du PIB national, soit plus de 442 milliards d’euros en 2022. Sa force industrielle, son écosystème d’innovation et ses infrastructures avancées en font un moteur économique essentiel. De même, le Sahara marocain, avec ses ressources naturelles, son potentiel énergétique et sa position stratégique d’ouverture vers l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, est destiné à devenir un pôle de croissance économique au sein du Royaume.

C’est précisément à partir de cette comparaison que l’idée d’un forum italo-marocain sur l’autonomie et la régionalisation prend tout son sens. Un tel forum pourrait réunir des constitutionnalistes, des représentants régionaux, des économistes, des experts du droit administratif et des acteurs civiques. Il permettrait de mettre en parallèle deux expériences politico-institutionnelles : celle d’un État européen fondé sur un système régional éprouvé depuis plus de 70 ans, et celle d’un État africain pionnier dans la proposition d’un modèle d’autonomie avancée dans une région sensible sur le plan historique et stratégique.

Ce forum pourrait aborder des thèmes tels que :
– le rôle des régions dans la cohésion nationale ;
– le partage des compétences législatives et exécutives ;
– la protection des identités locales ;
– la transparence dans la gestion des ressources territoriales ;
– le contrôle démocratique et la participation citoyenne ;
– les mécanismes de médiation entre État central et gouvernement régional.

Un tel échange contribuerait non seulement à la compréhension mutuelle des modèles institutionnels, mais également à la diffusion d’une culture politique de la décentralisation responsable et du fédéralisme équilibré. En réalité, le Maroc et l’Italie se retrouvent autour d’un double principe commun : la reconnaissance de la diversité territoriale et culturelle, et la primauté absolue de l’unité nationale et de la souveraineté de l’État.

En conclusion, le projet marocain d’autonomie pour le Sahara n’est ni un compromis superficiel ni une concession tactique, mais une construction constitutionnelle mûrement réfléchie, comparable aux grands modèles européens de gouvernance territoriale avancée. Le dialogue italo-marocain sur ces questions pourrait contribuer à la stabilité régionale, à la coopération euro-méditerranéenne et au renforcement du lien entre l’Afrique du Nord et l’Europe du Sud. À travers cette approche, l’autonomie n’est pas un facteur de division, mais au contraire un instrument de pacification, de développement et de cohésion.

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