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Lecture constitutionnelle de la répartition des compétences exécutives dans la mise en œuvre du projet d’autonomie

Par: Mohamed KHOUKHCHANI

Par: Mohamed KHOUKHCHANI

Introduction :

Le système constitutionnel marocain se caractérise par un équilibre subtil entre la Monarchie et les institutions gouvernementales issues du suffrage.

L’interaction entre ces deux pôles, notamment dans les dossiers à forte portée stratégique – tel celui du projet d’autonomie des provinces sahariennes – soulève des questions fondamentales quant à la délimitation des compétences entre le Roi, Chef de l’État, et le Chef du gouvernement, responsable de l’exécution des politiques publiques.

Le cas d’espèce, où le Souverain charge trois de ses conseillers et deux ministres de réunir les chefs de partis – y compris le Chef du gouvernement en sa qualité de secrétaire général d’un parti – afin de leur demander de présenter leurs visions sur le projet d’autonomie, illustre de manière éloquente la complexité de cette articulation institutionnelle entre le domaine réservé du Roi et celui de la gestion gouvernementale.

I. Les prérogatives constitutionnelles du Roi

L’article 42 de la Constitution de 2011 dispose que le Roi est le garant de la continuité de l’État et l’arbitre suprême entre ses institutions.

L’article 55 précise qu’il signe et ratifie les traités, tandis que l’article 59 lui confère la capacité d’initiative dans les situations exceptionnelles.

Sur cette base, il apparaît que la question du Sahara marocain, ainsi que l’initiative d’autonomie, relèvent du domaine diplomatique et souverain du Roi, en sa qualité de Chef suprême des Forces armées royales, de président du Conseil supérieur de sécurité, et de représentant de l’État à l’étranger.

Le Roi fixe donc l’orientation stratégique qui fonde la politique nationale dans ce domaine.

II. Les limites de la compétence du Chef du gouvernement

Selon l’article 90, le Chef du gouvernement veille à l’exécution des lois et assure la coordination de l’action gouvernementale.

L’article 92 précise que le Conseil de gouvernement délibère sur les politiques publiques, incluant les dimensions économiques, sociales, et territoriales liées à la mise en œuvre du développement régional.

Ainsi, le Chef du gouvernement détient la responsabilité de formuler et d’exécuter les politiques publiques concrétisant les choix stratégiques du Souverain, y compris celles qui accompagnent l’application du projet d’autonomie : politiques économiques, sociales, juridiques, administratives et sécuritaires.

III. Interprétation de la réunion des conseillers royaux avec les partis politiques

Il convient de souligner que cette réunion ne s’inscrit pas dans le champ de la décision exécutive gouvernementale, mais plutôt dans ce que l’on pourrait appeler une « concertation royale élargie », souvent préalable à l’annonce d’une initiative nationale majeure.

La Constitution n’interdit pas au Roi d’initier de telles consultations, ni de mandater ses conseillers pour dialoguer avec les acteurs politiques, dès lors que l’objectif est d’évaluer les opinions et non de décider d’une mesure administrative.

La présence du Chef du gouvernement en tant que chef de parti n’est donc pas une anomalie constitutionnelle, mais l’expression d’une articulation entre ses deux statuts – partisan et institutionnel – dans un contexte d’unité nationale.

IV. Sommes-nous face à une situation non prévue par la Constitution ?

D’un point de vue doctrinal, il ne s’agit pas d’un « vide constitutionnel », mais d’une zone de flexibilité, que la science politique qualifie de « compétence partagée ou symbolique » entre le Roi et le gouvernement.

Dans les affaires d’intérêt national ou symbolique majeur (régionalisation avancée, unité territoriale, sécurité nationale), le Roi exerce une fonction de direction stratégique, tandis que le gouvernement met en œuvre la politique correspondante sous forme opérationnelle.

V. Pour une compréhension équilibrée de l’architecture institutionnelle

L’épisode en question illustre la nature du système marocain, fondé sur la centralité de la Monarchie dans la définition des grandes orientations stratégiques, sans pour autant exclure la responsabilité du gouvernement dans l’action exécutive.

Le Roi fixe la vision, le gouvernement élabore les politiques, et les partis politiques nourrissent la réflexion.

Cette chaîne de concertation traduit un modèle politique fondé sur la coopération et la complémentarité plutôt que sur la séparation rigide des pouvoirs.

Conclusion :

L’événement ne saurait donc être interprété comme une entorse constitutionnelle, mais bien comme l’expression d’une pratique politique propre au modèle marocain, combinant légitimité historique de la Monarchie et légitimité démocratique des institutions élues.

Le véritable enjeu demeure la capacité à transformer cette harmonie entre leadership royal et exécution gouvernementale en une dynamique institutionnelle efficace, garantissant la cohérence entre vision stratégique et mise en œuvre publique.

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