
Par: Mohamed KHOUKHCHANI

Introduction : marcher pour exister
Organiser des marches a toujours été un moyen collectif pour les peuples de faire entendre leur voix, exprimer un mécontentement, ou revendiquer un droit. De l’Inde de Gandhi aux États-Unis de Martin Luther King, en passant par la Chine révolutionnaire, la marche est un acte à la fois symbolique et stratégique. Elle transforme la foule en instrument de diplomatie populaire, capable de modifier le rapport de force sans recourir à la violence.
Dans ce panorama mondial, une marche se distingue par sa dimension historique, politique et juridique : la Marche Verte du Maroc en 1975. Elle n’était pas seulement un déplacement massif de citoyens, mais un acte structuré, organisé et légitimé par le Royaume pour réaffirmer sa souveraineté sur les provinces sahariennes. La Marche Verte est unique par sa combinaison de pacifisme, mobilisation nationale et stratégie diplomatique.
I. Les grandes marches de l’Histoire : mobiliser sans armes
Avant de se concentrer sur le cas marocain, il est important de replacer la Marche Verte dans le contexte des grandes marches mondiales.
1. La Longue Marche – Chine, 1934-1935
La Longue Marche fut une retraite stratégique de 86 000 kilomètres orchestrée par l’Armée rouge chinoise pour échapper aux troupes nationalistes. Bien que militaire, elle devint un symbole de persévérance et de légitimité révolutionnaire. Mao Zedong transforma cette opération en mythe politique, consolidant son pouvoir.
2. La Marche du Sel – Inde, 1930
Gandhi conduisit 241 kilomètres pour protester contre la taxation britannique sur le sel. Les participants, désarmés, défièrent la loi coloniale, démontrant que la résistance pacifique pouvait forcer la main d’un empire. Gandhi déclara : « Nous ne violons pas la loi par rébellion, mais par conscience et vérité. » Cette marche inspira le monde entier et devint un modèle de désobéissance civile.
3. La Marche sur Washington – États-Unis, 1963
Martin Luther King mena 250 000 personnes pour réclamer l’égalité des droits civiques. Son discours « I have a dream » reste un exemple d’efficacité symbolique et médiatique. Les marches afro-américaines ont montré que la visibilité publique et médiatique peut transformer la législation.
4. La Marche sur Rome – Italie, 1922
La Marche de Mussolini, par contraste, illustre la puissance symbolique d’une marche pour légitimer un parti. Mais son objectif était la conquête du pouvoir par la menace, et non par la mobilisation populaire pacifique.
5. Autres marches modernes
Des marches pour les droits des femmes, pour l’environnement ou contre les injustices sociales montrent que l’outil de la marche reste universel, mais son efficacité dépend du contexte, de l’organisation et de l’objectif.
II. La Marche Verte : genèse et stratégie
1. Contexte historique
En 1975, le Sahara occidental était sous administration espagnole. Le Maroc revendiquait ces provinces depuis l’indépendance (1956) et dénonçait la fragmentation coloniale. L’avis consultatif de la CIJ (Cour Internationale de Justice) du 16 octobre 1975 confirma le lien historique et juridique entre le Maroc et le Sahara, sans reconnaître un droit d’indépendance pour la région. Face à l’intransigeance espagnole et aux manœuvres du « Polisario » soutenu par l’Algérie, Hassan II décida de mobiliser la population dans un acte pacifique de souveraineté populaire.
2. Organisation et déroulement
Le 6 novembre 1975, 350 000 citoyens marocains franchirent pacifiquement la frontière saharienne, munis de drapeaux et du Coran, mais sans armes. La logistique mobilisa 10 000 bus, 522 camions et 50 000 volontaires pour l’encadrement. Hassan II expliqua : « Nous n’allons pas à la guerre, nous allons prier et affirmer notre souveraineté par la volonté du peuple. »
Cette marche constitua un acte stratégique : L’Espagne accepta de négocier le retrait, et le Maroc s’appropria progressivement les provinces, tout en respectant les engagements diplomatiques.
3. Objectifs et signification
Politique : démontrer que le Sahara est partie intégrante du Maroc, non un territoire contesté par le peuple.
Diplomatique : créer un fait accompli pacifique, rendant tout recours à la violence inutile.
Symbolique : montrer que le peuple marocain est acteur de sa destinée, sous l’égide de la monarchie.
III. Hassan II : stratège et chef d’orchestre
Hassan II transforma la Marche Verte en outil diplomatique international. Par sa communication, il fit passer le message au monde entier : le Maroc agit légalement, pacifiquement, et avec le soutien populaire. Son discours à Tarfaya et ses lettres aux Nations unies posaient le cadre juridique et moral.
« Nous affirmons la souveraineté du Maroc sur le Sahara, mais sans effusion de sang. Nous marchons avec notre peuple, notre foi et notre droit. » – Hassan II, 1975.
Grâce à cette stratégie, le Maroc obtint :
La reconnaissance implicite de la communauté internationale du plan marocain d’autonomie
Le retrait progressif de l’Espagne
Une légitimité accrue face au « Polisario » et à l’Algérie.
IV. Impact géopolitique et diplomatique
1. National :
La Marche Verte renforça l’unité nationale, mobilisa toutes les composantes du pays et permit au Maroc d’investir dans les provinces sahariennes.
2. Régional :
Elle modifia la dynamique maghrébine : l’Algérie, soutenant le « Polisario », se retrouva isolée diplomatiquement, tandis que plusieurs pays africains et européens rapprochaient leur position du Maroc.
3. International :
La marche fit évoluer la perception mondiale : un État pouvait récupérer un territoire par la légitimité populaire et le droit international, sans guerre.
V. Comparaison avec d’autres marches
Aucune marche de toutes celles organisées ailleurs ne ressemble à celle du Maroc tant sur le plan de sa nature que sur celui des objectifs fixés.
La Marche Verte au Maroc avait pour cible la reconquête de la souveraineté territoriale de manière pacifique. Grâce à une mobilisation massive, le peuple marocain allait obtenir la reconnaissance internationale de son Sahara longtemps amputé injustement et illégitimement de l’ensemble du territoire du Royaume.
La Marche Verte reste unique : récupération d’un territoire par un acte pacifique et stratégique, soutenu par le droit international et la mobilisation populaire.
VI. Conséquences durables
1. Pour le Maroc : consolidation de l’unité nationale, développement des provinces sud, renforcement de la diplomatie africaine et internationale.
2. Pour le Sahara : amélioration progressive des infrastructures, intégration administrative, création de faits diplomatiques irréversibles.
3. Pour la région : modèle de résolution pacifique d’un conflit territorial, influence sur la diplomatie contemporaine.
VII. De la Marche Verte à la résolution 2797 (2025).
50 ans après, la communauté internationale valide le plan marocain d’autonomie par la résolution 2797 du Conseil de sécurité. La Marche Verte n’était pas un simple événement symbolique : elle a créé les conditions pour une reconnaissance politique et diplomatique durable.
> « La Marche Verte a changé la donne, démontrant que la volonté populaire, combinée à une stratégie diplomatique, peut résoudre un conflit de plus de cinquante ans. » – Analyste international.
VIII. Conclusion : marcher pour l’Histoire
La Marche Verte est la preuve que le peuple peut être acteur de sa propre souveraineté, guidé par un leadership stratégique et pacifique. Hassan II a démontré qu’un événement organisé avec précision, symbolisme et courage peut transformer la géopolitique.
Aujourd’hui, la Marche Verte reste un modèle pour le monde : comment allier mobilisation populaire, droit international et diplomatie pour résoudre des conflits autrement insolubles. Le Sahara est désormais un exemple de réussite pacifique, légitime et stratégique.





