
Par: Mohammed El Qandil *
La mer que je continue à voir ou à défier. Comme si les vagues allaient me prouver que ceux qui y partaient n’arrivaient pas à recoller les morceaux de l’exil. Moi qui cours, sans cesse, dans les rues. Croyant choisir entre les ombres qui passent et ta présence qui me fait défaut.
J’ouvre toute grande cette nostalgie du vol, de l’enfermement, de la perte nichée dans une enfance qui estime lourde la marche du temps. Je me penche vers toi, ami du destin unique. Ami sans rencontre ni aveu. Ami qui joue de ma lecture comme d’une pierre d’achoppement.
Ami de rien sur les mains.
Vide, de cette vacuité qui me voue au récit sans fin, je promène encore ma curiosité. C’est à elle que je cède le choix de héler les noms qui conviennent à l’instant.
Voici que je conjugue ma vérité à la tienne Genet. Je suis tes pas sur les pavés de Paris. Là où toute brise de courage est restée loyale contre l’oubli des gens. Voici que je souffle ce courage même qui accompagne ta solitude. J’en garde les yeux farcis de tes pugilats incommensurables. Le temps a su nous apprendre : sur la marge de la douleur, naissent les livres qui marquent. Enseignent. Prolongent l’Histoire au cœur des enfants.
Les enfants sont la mémoire infaillible du temps !
Est-il besoin de rappeler l’orphelinat qui, de toi et de tes livres, a pris valeur d’art et d’esthétique ? Est-il nécessaire de courir derrière toi dans les rayons de bibliothèques pour « emprunter-voler » des livres dont tu sentais, au creux de ta poitrine, l’urgence de lire et de feuilleter entre les aléas de la faim ? Dois-je imaginer ce regard d’enfant porté sur les barreaux d’une société qui ignore l’innocence de grandir, entre les idées et les lumières, et glorifie, a contrario, le clinquant de la doxa ?
Que dire d’une intelligence qui aurait pu sombrer !
La liste est assez longue et je n’ai plus de patience à visiter les musées d’un silence qui bouleverse plus qu’il n’instruit. D’un silence qui enveloppe les rais d’une partie de ton existence passée entre les camps des opprimés- les palestiniens en l’occurrence- à vouloir dire les choses. Décrire des réalités. Fissurer des histoires. Sertir les rêves de vies marginales. Vivre de cette nonchalance dont vivent ceux ou celles qui se parent de mythes ou de légendes à portée de regard. A crier des vérités plates pour avoir été banalisées par la misère, la souffrance, la torture, les voyages dans les couloirs de l’oubli souterrain ou la déception fracassante…
Ce blanc dont Khatibi a fait l’apologie dans figures de l’étranger te sied à merveille ! Il sied tout autant à ton ami Alberto Giacometti. Les œuvres d’art, disiez-vous, « s’adressent aux morts », elles cristallisent une beauté qui n’a «d’autre origine que la blessure».
Belle leçon de créateurs à repenser !
*Poète, chercheur en littérature et arts plastiques /Inspecteur pédagogique