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Les jeudis de Mohammed El Qandil. « LETTRES A MILENA »

Par: Mohammed El Qandil

Toute lettre est une communication avec les ombres, affirme Kafka à Milena dans une de ses lettres. Et les ombres attirent autant qu’elles font peur !

Mais que se passe-t-il si ces ombres devenaient des personnes ? Si ces personnes finissaient par disparaitre derrière les mots ? Les images ? ou même une absence blessante à force d’amour incurable ?

Que se passe -t-il si cet amour s’efforçait à vivre l’impossible, invoquant à la fois ce qui ne peut ni répondre à l’appel ni vaquer au besoin des départs définitifs ?

Au début, il y a un homme. Un écrivain d’une certaine notoriété. Malade. Lucide. Solitaire, de cette solitude qui nourrit plus qu’elle ne désespère. Un homme qui fuit le monde, se réfugie dans le langage. De l’autre côté, nous avons une femme, mariée, rebelle, intellectuelle raffinée, traductrice de textes divers. Passionnée de littérature. Belle par-dessus tout.

La rencontre est foudroyante. Un éclair qui traverse le ciel de celui qui croit au vide comme une prière oubliée. Un choc qui renvoie la vie à elle-même, la délaissant au bord des aveux qui naissent furtifs. Douloureux. Presque pitoyables à force de tendresse irréparable.

Prague, cette ville célèbre, rieuse, snob… est témoin. Comme d’autres villes d’ailleurs. Les espaces nous traversent souvent. Autant que nous les traversons. Les traces sont là. Des cicatrices qui ne demandent pas à guérir. Mais à vieillir devant un amour abrupt.

Kafka, dans cette foulée insidieuse, est un homme en proie au doute. Qui hésite plus qu’il n’avance. Qui appelle une destinée qui tarde aux portes de l’aveu.

Ce qu’il cherche, ce n’est pas la vérité. La vérité en amour comme dans la vie n’existe pas. C’est nos illusions qui prennent souvent le dessus ! Ce qu’il cherche, par-delà la traduction que propose Milena, c’est la possibilité de vivre dans un langage autre. Dans des métaphores autres. Dans une personne autre. Car un écrivain, le vrai, est toujours quelqu’un qui frappe aux portes de l’Histoire. Qui tente l’absolu via le viatique des mots. La lactescence de l’amour.

Tout véritable écrivain vit d’une altérité souveraine !

C’est pourquoi, passer de « chère Madame » qui ouvre les premières lettres de Kafka à Milena, à « Toi » qui marque les dernières, témoigne de cette ordalie du temps. Le temps qui manque à ceux qui se savent condamnés. Et Kafka avait la tuberculose !

Dois-je souligner, pour ne pas finir, que l’auteur de La Métamorphose, Le Château, Le Procès… fait montre, dans ces lettres, d’une fragilité extraordinaire, d’une sensibilité à couper le souffle, d’un amour presque juvénile à force d’une naïveté surprenante. Lui, l’existentialiste, qui interrogeait les cieux avec un courage inouï, qui sondait les arcanes de l’âme humaine avec une précision tranchante … n’a pas su tenir tête à une femme rencontrée deux ou trois fois :

C’est qu’au cœur des lettres d’amour, il y a une équivoque insoutenable !

Même les grands y succombent : celui qui écrit et celle à qui on écrit. Une présence et une absence. Une présence qui veut rendre présente l’absence.

Qui veut la saisir pour la rendre sienne à jamais !

 

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