Tebboune ou le syndrome de la « communiquite » aiguë

Par: Zakia Laaroussi

Il est des pays où l’on cultive la crise comme un art. L’Algérie, elle, en a fait un sport national. Non contente de jongler avec ses propres tourments intérieurs, elle semble décidée, avec une constance admirable, à créer de toutes pièces des tempêtes diplomatiques. La dernière en date : un coup de théâtre dont seul le régime algérien a le secret — une indignation solennelle, une « vive protestation » officielle, et des menaces voilées à l’égard de la France, coupable de… l’arrestation d’un agent consulaire soupçonné d’implication dans l’enlèvement d’un influenceur dissident sur le sol français.

Mais attention, il ne s’agit pas d’un banal différend consulaire. Non, cette affaire fleure bon le roman noir : enlèvement, séquestration, soupçons de terrorisme. De quoi faire frémir un scénariste hollywoodien. Et pourtant, au lieu d’un examen lucide, Alger a choisi la voie du vacarme diplomatique, criant à l’outrage et convoquant l’ambassadeur de France comme on convoque un élève turbulent.

 

 

Comme le dit un proverbe populaire : « Celui qui ne peut frapper l’âne s’acharne sur la selle ». Il semble que la diplomatie algérienne ait fait sienne cette sagesse : plutôt que de regarder en face l’embarras causé par l’éventuelle dérive de l’un de ses agents, elle a préféré s’en prendre à la justice française, accusée de bafouer la sacro-sainte «immunité diplomatique».

La réponse française, quant à elle, s’est voulue froide, ciselée, presque chirurgicale: «La justice est indépendante. Nous ne commentons pas une enquête en cours». En d’autres termes: «Adressez-vous aux juges, pas à nous». Mais voilà : dans l’Algérie officielle, il suffit qu’un proche du pouvoir trébuche à l’étranger pour que tout le ministère des Affaires étrangères se mue en théâtre tragico-comique, érigeant l’incident en drame national.

Un autre adage nous rappelle que «ne tombe que celui qui ose grimper». Or, dans ce cas précis, c’est tout un pan déjà fragile des relations algéro-françaises qui s’effondre sous le poids de l’impulsivité. L’écart est frappant: là où Paris laisse la justice faire son œuvre, Alger semble vouloir écrire elle-même le script des tribunaux, comme si la magistrature n’était qu’un prolongement naturel de la politique.

Ce qui est troublant, c’est cette ardeur sélective: là où les Algériens ordinaires, malmenés à l’étranger, peinent à trouver assistance, l’État se montre étrangement réactif dès qu’il s’agit de défendre l’un des siens — pourvu qu’il porte cravate et tampon officiel. Quitte à ce qu’il soit soupçonné de forfaits qui relèvent du polar.

Ainsi, au lieu de faire preuve de hauteur diplomatique, le régime algérien préfère s’enfoncer dans ce que l’on pourrait appeler la «diplomatie de la plainte», ponctuée de communiqués véhéments et de silences lourds. À croire qu’il applique, à la lettre, le proverbe : «Frappe d’abord, demande ensuite qui a frappé».

Pendant que la France invoque la séparation des pouvoirs, Alger s’accroche à une lecture fossilisée du droit international, semblant croire que «le diplomate est intouchable, même s’il vole le soleil en plein ciel». Or, les temps ont changé, et les paravents derrière lesquels se cachaient naguère les puissants ne tiennent plus face à la transparence du droit.

Le proverbe est clair : «Qui fait le mal, mérite le châtiment». Mais en Algérie, l’arrestation semble être l’offense suprême, tandis que la faute n’est qu’un détail de second ordre, noyé dans le pathos ministériel.

Alors, faut-il voir dans ce vacarme une tentative désespérée de s’inventer une stature internationale, là où l’on a échoué à construire une crédibilité nationale ? La scène judiciaire étrangère devient, dès lors, un théâtre où l’Algérie joue des rôles de héros trahis, afin de détourner l’attention d’un public lassé par les promesses non tenues.

Au fond, le régime semble avoir endossé le rôle de l’enfant capricieux qui tape du pied chaque fois que le monde ne se plie pas à ses désirs. À la différence près qu’un enfant, lui, ne convoque pas des ambassadeurs.

À force de chercher des moulins à vent à combattre, Alger finit par creuser sa propre tombe diplomatique, avec un enthousiasme presque artistique. Mais aujourd’hui, elle le fait en arborant fièrement sa signature : Made in El Mouradia — une étiquette qui, pour le coup, est bel et bien une marque déposée.