« LES FENÊTRES » DE MOHAMMED EL QANDIL

Par: Mohammed EL QANDIL

 

J’ai, de tout temps, une sensibilité extraordinaire envers les fenêtres.

Cet espace ambigu, à mi-chemin entre le dehors et le dedans, très mystérieux, me retient à la fois et me libère. M’invite à voir et à rêver le vu. Me voue à des lieux que je ne peux ni nommer ni habiter à ma guise.

Chaque fois que je suis les méandres d’un livre, contemple la composition d’une toile ou entends les notes culmunantes d’un morceau de musique, une fenêtre vient à ma rencontre, élégante dans son silence, fière dans sa retenue, souriante de ce demi-sourire qui signifie beaucoup et ne pointe rien du doigt.

Veut-elle m’ouvrir à un espace particulier, une zone franche où le commerce des êtres et des choses est léger, trop léger pour en mémoriser les sons, les couleurs, les notes qui voyagent et déshéritent ? Désire-t-elle couvrir une aire d’ « entredeux » dont parlait Heidegger à propos de Hölderlin ? Souhaite-elle me susurrer des aveux que d’autres fenêtres ont déposés chez elle comme secret à méditer ou à cacher ?

Je ne sais pas !

Ce que je sais en revanche, c’est que cette fenêtre qui m’éclaire à la fois et m’assombrit, m’achemine vers une patrie où seuls entrent ce qui vivent de passion inouïe, un peu à la manière de la Fenêtre de Baudelaire, celle à travers laquelle il contemplait la silhouette d’une femme inconnue et pour laquelle il inventait des histoires pour enfin dormir fier d’avoir « vécu et souffert dans d’autres » que soi-même.

Oui, cette fenêtre égalait son humanité, vérifiait son appartenance à une certaine beauté que ne goûtent que ceux qui ont déjà quitté l’étable de la doxa régnante.

Me viennent à l’esprit, aussi, les fenêtres de Johannes Vermeer, cet homme qui – selon l’admirable mot de Malraux – a prouvé que « La peinture d’un monde sans valeur fondamentale peut être sauvé par un solitaire qui lui donne pour valeur fondamentale la peinture elle-même. ». Cette lumière diaphane qui s’en dégageait inondait les espaces intérieurs, illuminait des visages souvent atteints de tristesses lointaines, de pertes profondes, de brisures intenses, à l’instar de cette jeune fille qui lisait- probablement- une lettre d’amour et qui ne savait comment y répondre, ni comment déployer ce réservoir de patience dont seules les amoureuses d’antan ont  le charme et la clef. Ce courage d’aimer et de ne plus retrouver sa liberté -devenant esclave de ce qu’on aime-, ces yeux de perles, ces regards qui transpercent, ces maisons pleines et pourtant désertes d’anges, ces papiers griffonnés sur la table, ces personnages qui réfléchissent sans trop savoir sur quel vent danser, le peintre les a immortalisés avec des rais de lumière esseulés qui nommaient un espace invisible dans un autre beaucoup plus perceptible. Ce qu’il en ressortait, c’est cette « Part manquante » dont parlait Bobin, celle qui fait de nous un couloir de traverse incommensurable.

Les fenêtres, aussi, peuvent donner sur un paradis silencieux !

Je garde toujours cette sensibilité envers les fenêtres. Et c’est mieux ainsi.

La fenêtre qui exclut ou celle qui distingue les chasses gardées ne me parlent pas.

Je ne veux ni perdre la distance qui me sépare de mes semblables ni la proximité qui me lie à eux.

Poète, chercheur en littérature et arts plastiques/ Inspecteur pédagogique