Paris- Zakia Laaroussi*
Les lettres de notre maître Al-Jahiz continuent de ravir nos âmes et d’enrichir nos esprits, grâce à leur créativité et à leur vaste connaissance des sciences et des arts de son époque, ainsi qu’à son interaction avec toutes les couches de la société, des plus hautes aux plus basses. Ces qualités ont fait de lui un savant des caractères humains, de leurs instincts, de leurs mœurs et de leurs comportements, qu’il nous transmet avec une grande éloquence littéraire, une créativité et un plaisir inégalés. À cet égard, Mohamed Kurd Ali a déclaré, au sujet de l’éloquence et de la rhétorique d’Al-Jahiz dans le deuxième volume de « Les Princes de l’Éloquence » (p. 340): « On prenait pour exemple la littérature d’Al-Jahiz et son éloquence et la richesse de son expression, au point qu’on disait que la preuve de l’inimitabilité du Coran était la foi d’Al-Jahiz en celui-ci. »
L’expérience profonde d’Al-Jahiz lui a permis de nous offrir des chefs-d’œuvre en sociologie littéraire, dont les pairs sont rares. Parmi les plus belles créations de sa plume ensorcelante sur les caractères et les mœurs des gens, figure la lettre sur l’envieux et l’envié, abordant l’envie entre voisins, où il partage son expertise sur les caractéristiques des envieux, comme il l’a fait dans « Le Livre des Animaux », « Le Livre de l’Éloquence et de la Clarté » et « La Lettre sur le Sérieux et la Plaisanterie ».
Qu’est-ce que l’envie ?
Selon le Lisan al-Arab, « l’envie dans la langue est le fait que quelqu’un voit une bénédiction chez son frère et souhaite qu’elle disparaisse pour qu’il la possède à sa place. » Al-Jahiz a exprimé le même sens dans les lettres de l’envieux et l’envié (vol. 3, p. 8) : « L’envieux n’a pour but que de priver son voisin de la bénédiction que Dieu lui a donnée, sans jamais oublier. » Il dit aussi dans la même lettre (p. 115) : « L’envie – que Dieu te garde – est une maladie qui épuise le corps, corrompt l’amitié, dont le traitement est difficile et dont le porteur est constamment agité. C’est un problème complexe et insoluble, ce qui est manifeste ne peut être soigné, et ce qui est caché ne peut être guéri. C’est pourquoi le Prophète, paix et bénédictions sur lui, a dit : « Le mal des nations avant vous s’est infiltré en vous: l’envie et la haine. »
L’envie est donc une caractéristique condamnable, aussi ancienne que l’humanité elle-même, et il est difficile d’en comprendre pleinement la nature à cause de son obscurité. Quiconque est touché par cette maladie ne peut jouir d’aucune autre vertu, car c’est par l’envie que le premier péché sur terre a été commis: le meurtre d’Abel par Caïn. L’envie peut pousser l’envieux à devenir un ami intime du mensonge, un mal plus douloureux que l’inimitié.
L’envie des voisins
Al-Jahiz écrit: « Les voisins – que Dieu te bénisse – sont des espions pour toi, et leurs yeux sont constamment fixés sur toi. Si tu étais pauvre parmi eux et que tu devenais riche, distribuant et donnant, habillant et nourrissant, tandis qu’eux demeuraient dans leur état de pauvreté, la calamité de l’envie serait grande pour eux, et ils en seraient affligés pour toujours. Si l’envié n’était pas protégé par l’aide divine, chaque jour serait pour lui un jour de misère, chaque nuit une privation, sa richesse volée, son sang versé, et son honneur frappé. »
Parmi les raisons de l’envie entre voisins, selon Al-Jahiz, figure le fait que le voisin envieux connaît tout de la vie de son voisin, est informé de ses bénédictions et rivalise avec lui sur ses terres adjacentes. Il ajoute dans « La Lettre sur le Sérieux et la Plaisanterie » (vol. 1, p. 186) que lorsque la parenté, le voisinage et le même métier se rencontrent, les raisons de l’envie et de l’inimitié sont plus fortes.
Le voisin envieux et le savoir
Il apparaît que si le voisin envieux est un savant mais faible dans son domaine, sans atteindre l’excellence, il jalouse les érudits éminents, et son envie le pousse à les dénigrer, à les critiquer et à calomnier chacun d’entre eux, croyant à tort qu’en agissant ainsi, il atteindra leur rang et leur stature, malgré leur supériorité.
En conclusion, que Dieu nous protège, vous et nous, du mal d’un voisin envieux, ignoble, vil et méprisable, réunissant en lui toutes les caractéristiques condamnables, tant visibles que cachées, comme l’hypocrisie, la haine, la flatterie, la ruse et l’inimitié… Ainsi, il perd sa liberté, devenant esclave de son envie, incapable – comme l’a exprimé Al-Jahiz – de la maîtriser ou de la cacher, car elle domine son porteur plus qu’un maître sur son esclave.
*Poétesse marocaine