
Marco BARATTO, essayiste italien, auteur du livre « Le Défi de l’Islam en Italie », a voulu interagir avec le plaidoyer de Mme Zakia LAAROUSSI, Correspondante de lecollimateur.ma à Paris, pour la nomination d’un Pape issu de l’Afrique, après le décès du Pape François. Il a eu l’amabilité de nous gratifier d’une excellente réponse où il exprime son accord total avec notre consœur. Voici in extenso son texte.
Par: Marco BARATTO*
Permettez-moi, en tant que catholique, de vous adresser cette réponse ouverte pour exprimer non seulement mon plein accord avec vos propos, mais aussi pour approfondir la réflexion à laquelle vous nous invitez. Votre analyse sur le rôle croissant de l’Afrique dans l’Église catholique résonne puissamment avec mes propres convictions. J’ose même affirmer qu’il est grand temps que l’Église universelle reconnaisse, à travers des signes concrets, que l’avenir de la foi catholique passe désormais, en grande partie, par les terres africaines.
L’Afrique a reçu l’Évangile, souvent dans un contexte de mission, parfois de manière imparfaite, mais toujours dans une dynamique spirituelle qui a profondément marqué les cœurs. Aujourd’hui, il me semble évident que le continent africain ne se contente plus de recevoir : il est prêt à donner, à porter à son tour la Bonne Nouvelle aux terres qui, comme l’Europe, se sont peu à peu sécularisées, désertées spirituellement, et parfois même vidées de clercs. Pourquoi ne pas permettre aux nombreux séminaristes et prêtres africains d’aller en mission en Europe ? Cette dynamique inverse ne serait pas un renversement de l’ordre ancien, mais bien une expression authentique de la catholicité de l’Église : un corps vivant où chaque membre, quel que soit son lieu d’origine, porte la foi là où elle manque.
Je plaide donc pour une mobilisation forte, à double sens : que les conférences épiscopales africaines envoient des prêtres dans les diocèses européens en souffrance, et que les conférences épiscopales européennes aient le courage d’accueillir cette richesse humaine et spirituelle venue d’Afrique. Il ne s’agit pas d’un simple ajustement administratif, mais d’un véritable renouveau missionnaire.
Votre remarque sur l’absence de pontifes africains dans l’histoire récente mérite elle aussi une clarification. Contrairement à une idée reçue, l’Afrique a bien déjà offert deux papes à l’Église : saint Victor Ier et saint Gélase Ier, tous deux issus de l’Afrique du Nord. Victor Ier, d’origine probablement subsaharienne, est même souvent décrit comme ayant le teint foncé, tandis que Gélase Ier était amazigh. Ces figures témoignent que l’universalité de l’Église n’est pas un concept récent, mais un fondement ancien et essentiel de sa mission. Aujourd’hui, nous pouvons légitimement espérer, voire souhaiter, que le prochain conclave tienne compte de cette réalité : l’Afrique n’est plus à la périphérie de l’Église, elle en est désormais le cœur battant. La croissance des vocations, la ferveur populaire, la jeunesse de ses fidèles et la vitalité de ses paroisses témoignent d’une foi vive, solide, ancrée dans le quotidien. Il serait donc cohérent que cette dynamique soit reflétée jusqu’au sommet de l’Église.
À cet égard, plusieurs figures cardinalices se détachent. Le cardinal Peter Turkson, originaire du Ghana, est sans doute l’un des candidats les plus crédibles. Théologien compétent, homme de dialogue, modéré dans sa ligne doctrinale, il a montré à travers ses différentes missions au Vatican une capacité d’écoute et une vision globale, notamment sur les questions de justice sociale, d’écologie et de développement humain intégral. Il pourrait représenter une synthèse acceptable pour des sensibilités différentes, tant conservatrices que progressistes.Un autre nom mérite également d’être évoqué : le cardinal Cristóbal López Romero. Bien qu’espagnol d’origine, il est archevêque de Rabat, au Maroc, et donc profondément enraciné dans les réalités du continent africain. Son expérience du dialogue avec l’islam, sa connaissance des enjeux méditerranéens, et sa proximité avec les questions migratoires font de lui un pont entre l’Europe et l’Afrique, entre l’Occident chrétien et le monde musulman. Son élection serait un signal fort à une époque où la fraternité interreligieuse devient cruciale.
Cependant, l’avenir de l’Église ne se joue pas seulement entre l’Europe et l’Afrique. L’Asie aussi mérite une attention particulière. La croissance du catholicisme en Corée, aux Philippines, en Inde, et même, de façon plus discrète mais non négligeable, en Chine, montre que l’Église est appelée à s’enraciner davantage en Orient. Même si la République populaire de Chine n’entretient pas de relations diplomatiques officielles avec le Saint-Siège, l’accord signé sous le pontificat de François pour la nomination des évêques marque un tournant historique. Cet acte courageux, bien qu’imparfait, pourrait ouvrir la voie à un avenir où les catholiques chinois, nombreux et fidèles malgré les persécutions, auront eux aussi une voix forte dans l’Église universelle.
Enfin, il ne faudrait pas oublier le cardinal Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem. Son profil particulier, ancré dans la Terre Sainte, au carrefour des tensions religieuses et géopolitiques, fait de lui un homme d’écoute, de dialogue et de paix. Il incarne une Église proche des souffrances concrètes, enracinée dans l’histoire et tournée vers la réconciliation. Au fond, tout dépendra de ce que l’Église souhaite exprimer dans le prochain conclave. S’agira-t-il de prolonger la ligne du pape François, en insistant sur la synodalité, l’écoute, la mission et le dialogue ? Ou bien d’opérer un recentrage doctrinal plus classique ?
Nous aurons peut-être un début de réponse lors des obsèques du Saint-Père : la manière dont les cardinaux s’exprimeront, les hommages rendus et les gestes posés diront beaucoup sur la vision de l’Église de demain. Quoi qu’il en soit, il me semble urgent de poser dès à présent des actes concrets : l’un de ces actes serait de favoriser la mission des prêtres africains en Europe. Ce serait non seulement une réponse à la crise des vocations, mais aussi un geste prophétique, un témoignage vivant de l’universalité de l’Église, une manière de dire au monde que la foi n’a pas disparu, elle a simplement changé de visage, et ce visage aujourd’hui, en grande partie, est africain. Je souscris donc pleinement à votre analyse. Ensemble, engageons-nous pour encourager ce mouvement missionnaire du Sud vers le Nord. Il ne s’agit pas de combler un vide, mais de raviver une flamme.