
Par: Zakia Laaroussi

Ô fête, en quel état reviens-tu cette année ? Sans éclat, sans éclats de rire, sans ces gâteaux qui, jadis, embaumaient nos foyers et nos cœurs !
Autrefois, l’Aïd était le symbole du bonheur familial, un rendez-vous annuel où se ravivaient les liens d’affection entre proches et voisins. À l’aube, les enfants s’éveillaient au doux chant des mères exaltant la fête, tandis que les effluves sucrés des pâtisseries s’infiltraient dans chaque recoin des maisons. Les fours crépitaient sous la chaleur du kaak et du pain traditionnel, et les marchés, débordants de vie, n’étaient pas de simples lieux d’achats, mais les théâtres d’un rituel immuable, un héritage culturel qui nous était cher.
Mais aujourd’hui, en quel état nous revient cette fête ? Comment a-t-elle pu se métamorphoser d’un moment de communion en une parade de vanités, en un tumulte consumériste qui alourdit les bourses et dilue le véritable sens de la joie ?
L’Aïd n’est plus ce qu’il était. Il s’est fané, vidé de sa substance. Sa magie s’est dissipée sous les vents impitoyables de la mondialisation et des pratiques altérées. Même les gestes les plus élémentaires, tels que l’achat d’un vêtement neuf, n’ont plus la saveur d’antan, celle qui illuminait les regards enfantins d’une lueur d’excitation pure. Les marchés, jadis empreints de fébrilité joyeuse, sont devenus des vitrines de luxe où l’éclat des marques usurpe la véritable essence de la fête. Comme si le bonheur se mesurait désormais en étiquettes et en tendances, et non en instants de partage et de chaleur humaine.
Le plus navrant, c’est que même la simple formule « Aïd Moubarak » semble peser sur les lèvres, comme un devoir que l’on accomplit du bout des mots, sans l’élan du cœur. Les visites se sont raréfiées, la tendresse s’est dissoute dans le tumulte du quotidien. Finis ces cafés servis aux invités, ces éclats de rire qui résonnaient dans les maisons ; aujourd’hui, les vœux s’expédient en messages laconiques sur WhatsApp, froids et impersonnels, à l’image de ce monde qui se virtualise à outrance.
Et que dire de ceux qui vivent loin de leur terre natale ? Pour eux, l’absence est un fardeau plus lourd encore. Plus de voisins échangeant des plats, plus de boulangeries exhalant ces parfums d’antan. Pourtant, avec une résilience touchante, les exilés tentent, envers et contre tout, d’insuffler au jour de fête une saveur familière, ne serait-ce qu’à travers le prisme de souvenirs évanescents. Ils pétrissent eux-mêmes leurs douceurs, réchauffent dans leurs cuisines l’ombre d’un passé révolu. Paradoxalement, ils célèbrent peut-être l’Aïd avec plus d’ardeur que ceux restés au pays, comme pour combler le vide de l’éloignement par une ferveur accrue.
Pour ma part, j’ai fait vœu, il y a bien des années, de ne plus céder aux pâtisseries manufacturées aux couleurs artificielles. Rien ne saurait égaler le fumet du msemmen encore tiède ou la texture fondante du kaak fraîchement préparé. Ces senteurs sont des passerelles vers notre enfance, des fragments de mémoire qui nous rappellent ce que fut, jadis, la fête véritable.
Aujourd’hui, l’Aïd n’est plus qu’une ombre de lui-même. Les retrouvailles sincères ont cédé la place aux mises en scène sur les réseaux sociaux. Les visites familiales, ces moments où les enfants repartaient les poches pleines de friandises et de présents, ont disparu, et la fête, naguère exultante, s’est muée en un jour quelconque, où même les salutations semblent pesantes.
Alors, avons-nous irrémédiablement perdu l’âme de l’Aïd ? Ou nous reste-t-il encore l’espoir de la raviver ? Sommes-nous en mesure de ressusciter ses rites authentiques, de résister à l’impitoyable vague consumériste, et de redonner à cette fête son essence première : une allégresse sincère, une joie pure, un moment où les cœurs se rassemblent au lieu de s’éloigner ?





