Hier 10 Octobre 2020, Journée Nationale de la Femme Marocaine. Une journée d’hommage et de reconnaissance. L’occasion aussi de revenir sur un débat ancien… mais qu’il faut rappeler pour le dépasser.
« L’approche genre » dans les arts plastiques est-elle pertinente ou justifiée? L’auteur d’une œuvre d’art, femme ou homme, s’attend-il à être évalué selon son talent? Parfois selon son génie ? Ou à travers des différences définies biologiquement (le sexe) ou celles définies socialement (le genre) ?
La plupart des expositions collectives sont mixtes. Comment interagir avec des expositions collectives réservées uniquement aux femmes?
Il y a peu de temps, une riche exposition collective intitulée « Au-delà de la Vision » à laquelle ont participé, 5 artistes femmes – Khadija El Fahli, Fatna Chenane, Khadija Sekkat, Amina Badraoui, et Zahra Algo – a offert l’occasion de développer une brève réflexion sur « l’Art des Femmes ».
* Les artistes femmes… un apport à l’art… et acteurs décisifs de l’évolution sociétale
Il faut d’abord rappeler que les grandes artistes marocaines (aussi bien les pionnières autodidactes que celles des générations suivantes formées à l’école des Beaux-Arts) ont vu leurs œuvres analysées – comme pour tout artiste peintre – sous l’angle de l’histoire de la peinture et des notions propres à ce champ: composition, lumière, couleurs, formes, volumes…
Mais, il est évident qu’au vu des pesanteurs sociales… bousculées dans les années 60 par le bel effet surprise de voir surgir Chaibia Tallal, devenue une Icône !… « l’approche genre » devait, elle aussi, être intégrée dans l’analyse.
Il fallait conforter ce mouvement émergent et souligner le rôle précurseur de ces femmes artistes. Chaïbia, Radia Bent Lhoucine, Fatema Hassan El Farrouj,…
Au-delà de l’art, elles étaient aussi des symboles forts montrant que les lignes étaient en train de bouger. Aussi bien dans l’art qui était un « bastion masculin »… que dans la société.
L’Occident a connu une situation similaire. Il a fallu attendre longtemps pour que les femmes passent de l’artisanat (fileuse de soie, brodeuse, tapissière…) à l’art.
Les artistes femmes marocaines « pionnières » se sont imposées par leur art dans des conditions historiques particulières. Face à l’impossibilité de suivre des formations, elles ne pouvaient faire que de la peinture détachée des règles académiques.
La peinture naïve leur a permis liberté, fraîcheur et audace. L’art naïf allait devenir pour elles un système à la fois d’exploration intérieure, de découverte esthétique et aussi un levier d’émancipation sociale.
La place qu’elles ont acquise au niveau national et international ne relève ni de la complaisance, ni de la bienveillance.
C’est la reconnaissance de talents authentiques. Y compris pour les femmes peintres des générations suivantes, plus proches de l’abstraction, formées dans les écoles des Beaux-arts.
***Il n’y a pas de registre artistique spécifiquement féminin ou masculin.
Dans un essai célèbre: « L’art féminin ou l’art des femmes » publié en 2003, la chercheuse Miroslava Grajciarova a condensé les termes du débat. « Je refuse le terme d’art féminin, mais je pense qu’il faut bien accepter l’existence de « l’art des femmes » qui constitue évidemment un champ spécifique de l’art. Je n’ose pas en exposer les critères puisque l’art n’a pas de règles » (http://www.sens-public.org/article49.html).
Elle rejette donc l’idée de « registres artistiques spécifiques féminins et masculins ». Elle refuse l’idée d’art féminin parce que non plus il n’y a pas d’art masculin… mais accepte la notion d’ « art des femmes ».
Dans un texte de 2017 intitulé « La création artistique n’a pas de sexe, et c’est tant mieux ! », la chroniqueuse culturelle suisse Marie-Pierre Genecand reconnaît que « la création artistique est encore un bastion masculin »…
Mais elle pose la question de la perception : « Peut-on dire que la production des femmes artistes est particulièrement « féminine » et celle des hommes est « masculine » ? Le public ne se pose pas la question de cette séparation lorsqu’il consomme la culture. En plus aucune démarcation esthétique franche ne valide cette différenciation ».
Elle souligne que « les femmes artistes sont artistes avant d’être femmes, c’est leur droit le plus strict » (https://www.letemps.ch/opinions/creation-artistique-na-sexe-cest-tant-mieux).
***Le croisement entre « l’approche genre » et le « critère du talent ».
La différenciation entre artistes femmes ou hommes ne peut être que le talent… mais l’organisation d’expositions selon « l’approche genre » demeure compréhensible. Ces expositions réservées aux femmes ne sont pas moins exigeantes et le talent reste une condition incontournable.
Un évènement à double sens. Un sens artistique… et un sens social profond dans un environnement qui ne veille pas trop à la parité.
L’art est un langage, un mode d’expression mais il est aussi un des moteurs de l’évolution sociale. L’art, porté par les femmes (arts plastiques, cinéma, musique, poésie, littérature, théâtre…) participe efficacement à la dynamique de la modernité, de l’ouverture sociale et des valeurs de tolérance et de paix. Ce constat est valable non seulement pour notre société mais aussi pour tant d’autres !