UNE ARTISTE. UNE ŒUVRE. LES SYMBOLIQUES CROISÉES D’ILHAM LARAKI OMARI   

***Une exploration plastique composite

L’univers de l’artiste peintre Ilham Laraki Omari est imprégné de notions porteuses de fortes  symboliques: le cercle, la spirale, la sphère, le temps, le  mouvement, l’énergie, la lumière… témoignant d’un imaginaire tendu vers une quête spirituelle.

Ces notions et leurs symboliques sont présentes tant au niveau de ses compositions peintes… que de ses œuvres contemporaines. Sa dernière grande exposition personnelle a  constitué un tournant majeur dans sa recherche. Sous le thème « Souffle », l’exposition a été déclinée en trois volets: « Incandescence »… « Tasbih »…  « Le temps »…

Des compositions abstraites en peinture à huile sur toile, les plus nombreuses… côtoient  des sculptures mobiles (installations) avec différents matériaux: bois, métal, plexiglas, fil tissé sur bois, bois peint fixé sur toile peinte…

L’artiste est ainsi dans une exploration composite, cultivant la perméabilité entre genres esthétiques. Cette démarche mixte qui va au-delà des cloisonnements peut être  illustrée par une de ses formules: « Mon abstrait est le figuratif de mon profond ressenti »… !

Ilham Laraki Omari ne veut pas être confinée dans un seul champ d’expression.  Comme plusieurs artistes de sa génération, elle tient à prospecter simultanément l’art moderne et l’art contemporain. Les sonder à travers des prismes créatifs constamment réinventés.

Mais l’esprit et la vision qui ont animé l’exposition « Souffle » se poursuivent et continuent à nourrir sa recherche et ses récentes créations.

Nous examinerons tous ces éléments illustrant une quête spirituelle, nourrie d’émotion…

***Les figures du cercle et de la spiralité

Tant dans ses œuvres peintes que ses  installations, l’artiste joue sur les désinences de la figure du cercle et celle de la spiralité. Elles sont omniprésentes. Des formes prises dans un mouvement giratoire autour d’un point nodal…

 La symbolique de la spiralité a toujours interpelé les cultures humaines. Une formidable intuition que la science a confirmé en considérant la forme spirale comme: « structure de base de la vie » et ancrée dans la matière vivante.

La forme hélicoïdale de l’ADN reste l’image la plus fascinante dans la grammaire  de perpétuation de la vie.

La spirale c’est également le chemin sinueux afin de percer un secret ou un mystère.

La spirale c’est aussi l’allégorie d’une âme à la recherche de la vie éternelle.

On pense aussi à la symbolique du « Mandala ». Terme sanskrit signifiant le cercle et symbolisant la quête vers l’absolu.

L’écoulement de la durée est aussi lié à cette « spirale du temps » qui hante les imaginaires.

Et aussi ces spirales géantes des galaxies et des nébuleuses, symbole de l’énergie cosmique et des mouvements stellaires.

Et aussi la spirale de la fascination de l’hypnose.

Avec ces images et  formes présentes dans l’univers d’Ilham Laraki Omari, on identifie  inéluctablement  des questions se rapportant à  la genèse de la vie, le mystère de l’univers, la quête des origines, le temps, la matière, l’esprit,…

***La fascination du temps

La notion du temps fascine Ilham Laraki Omari et revient souvent dans ses propos.  Fascination transformée en une féconde source de créativité.

« Le temps, je ne saurai en parler… qu’à travers mes œuvres… au moment où il faut placer des mots pour le cerner, il n’y est plus », dit-elle !

Une de ses installations, qui résume tout sur cette fascination, est intitulée: « Le Sablier »…

Mais il faut comprendre: « Ceci n’est pas un sablier « … à l’instar d’un célèbre titre de Magritte.

L’objet présenté  n’est pas resserré en son milieu pour laisser le sable s’égrener  en un temps convenu. C’est un objet cylindrique !

Un mécanisme de rotation est prévu… Le sable ne s’écoule pas. Il se déverse, en un bruit lourd et s’étale dans le fond du sablier-cylindre.   Ce « sablier » est dépourvu de finalité, sa fonction est minée ! La mesure du temps n’est guère possible. Elle n’a plus de sens !

Dans ses œuvres récentes… où elle mixe de plus en plus moderne et contemporain… l’artiste a interrogé à l’extrême la question du temps.

Elle intègre dans des toiles des systèmes de montre, dépourvus de chiffres, avec cadran et aiguilles mobiles… après en avoir modifié le fonctionnement mécanique.
Les aiguilles tournent dans le sens inverse… de droite à gauche… ! Là non plus la mesure du temps n’est guère possible ! Ceci n’est pas une montre… !

Un temps  insaisissable… qui échappe… qui nargue … ou qui défie…

Le seul moment où l’artiste semble évoquer d’une manière apaisée et sereine « le temps » c’est lorsque, dit-elle,  elle est en admiration face à la  création divine.  Il devient alors un « temps en suspension » source de paix et de quiétude.

« Ces moments où je sens le temps en suspension… car submergée par une profonde admiration et gratitude de l’infini des créations divines ».

Bouthaina Azami, écrivaine et critique d’art qui a analysé l’œuvre d’Ilham laraki Omari, parle d’une « véritable dramaturgie » du temps qui « se met en scène » dans les œuvres de l’artiste.  Ce temps, écrit-elle,  « Qui nous condamne. Qui nous échappe. Se joue de nous »  et dont il faut « relativiser » l’emprise !

***Energie et mouvement

On  ne peut  parler du travail d’Ilham Laraki Omari sans évoquer la notion du mouvement.  « Mon travail est celui de saisir le mouvement (…) Je cherche à attraper l’énergie dans sa genèse », affirme l’artiste.

En plus de ses œuvres contemporaines  où le mouvement fonctionne, dans son sens premier, à travers des mécanismes à actionner…  c’est dans ses peintures que  les notions  du mouvement et d’énergie prennent toute leur signification esthétique.

Elle est une des rares plasticiennes à intégrer une illusion optique de mouvement  dans ses toiles. L’illusion  de l’animation est quasi perceptible dans ses œuvres montrant  une activité giratoire.

On s’arrêtera sur une de ses toiles les plus connues « A l’infini » qui montre une spirale cosmique  composée de carreaux de zellige, incrustés, un par un, d’un même énoncé calligraphique à référentiel spirituel.

La rigidité du carrelage semble abolie et assouplie par le souffle du verbe écrit. Les formes et les lignes devenues ondoyantes et mouvantes sont emportées vers le cœur lumineux.  Une lente, inexorable et fascinante chorégraphie stellaire. Tout se dirige vers ce centre d’énergie et de lumière qui appelle et assimile le Tout.  L’allégorie d’un vertige soufi !

Dans ce même tableau, les couleurs du flamboiement et de l’incandescence … laissent aussi percevoir des « images sonores » dans l’imaginaire du spectateur.

On a l’impression de crépitement de flammes, de grondements lointains  et profonds des plaques tectoniques de l’asthénosphère ou du manteau supérieur terrestre… le vrombissement sourd et d’une coulée de lave… ou tout simplement le ressenti du « silence sidéral » face aux spirales galactiques.

***Les teintes de la  terre et les couleurs du feu…

Chromatisme de la terre, du feu, du magma, du minéral. Des déclinaisons infinies des nuances du marron, du brun, du jaune, de l’orange, du rouge, du cuivré, de l’ocre…Couleurs de l’incandescence induisant  l’atmosphère d’un univers en gestation.

Un choix sobre car l’art d’Ilham Laraki Omari ne vise pas l’objet esthétique gratuit. La  palette est  donc ramassée, autour de couleurs essentielles, mais les nuances de chaque teinte  sont richement démultipliées et amplifiées.

« Feu, lumière, cela se joue à une voyelle près dans la langue arabe : « Nour » et « Nar », deux éléments qui se rejoignent… », dit l’artiste.

Soulignons également que les titres des œuvres ne sont ni arbitraires, ni gratuits:

Souffle… Incandescence… Perles de lumière… Luminescence… Déferlement… Matrice… Epicentre… ADN… Echo d’ADN… Temps… Tasbih… A l’Infini… Sablier… Roue… Tissage du temps… Empreinte du temps… Tempo spirituel…

Ces titres constituent eux-même un « texte » ou un « récit » racontant une histoire et complétant  le sens de l’œuvre.

Participant à l’équation du sens, un système graphique à référent spirituel  est souvent présent.

Parfois c’est tout un « texte » déployé en petites lettres  et qui occupe la moitié de la toile…où la couleur brune de l’écriture fusionne  avec les riches nuances de couleurs terreuses.

Sans que cela soit de la calligraphie, selon des règles académiques, cette écriture  reprend des formules sacrées…

L’artiste est dans le partage de son émerveillement, sa fascination et ses questions  face à  l’univers. A travers son art et à sa manière,  elle essaie de  répondre aux questions du mystère de la vie, du temps,  la quête de la lumière, du Nour et de l’Absolu. Elle s’adresse  aussi à un  socle commun de spiritualité pouvant être partagé par toutes les cultures et les croyances.

En plus d’être imprégné d’une nécessité intérieure, le travail d’Ilham Laraki Omari s’inscrit dans une postmodernité évidente.  Il parvient à  agencer des  questions profondes et éternelles avec un traitement esthétique, issu d’une fraîcheur du regard d’une artiste nourrie des références de son  temps.