L’expérience du Maroc en tant qu’Etat stratège et Etat providence a été exposée, vendredi par visioconférence, par Chakib Benmoussa, Président de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement (CSMD), à l’occasion des Rencontres économiques d’Aix en Seine qui se sont ouvertes vendredi à Paris.
Organisées par le Cercle des Economistes sous le thème « Agir face aux dérèglements du Monde – on va s’en sortir ! », les Rencontres d’Aix en Seine, permettent à 300 personnalités du monde académique, économique, politique et social, de débattre, durant trois jours et lors d’une cinquantaine de sessions diffusées en ligne, des grandes priorités et actions à engager pour l’après-covid et de réfléchir à de nouveaux modèles économiques et sociaux pour l’avenir.
Intervenant par visioconférence, lors de la session sur « L’État aux commandes de l’économie’’, M. Benmoussa, également Ambassadeur du Maroc en France, a indiqué que dans « cette période post-covid, le besoin d’un Etat différent, un Etat qui protège, qui peut agir et qui peut réguler mieux qu’il ne l’a fait, est de plus en plus ressenti ».
Partageant avec les panélistes, parmi lesquels Henrik Enderlein, Professor, Hertie School of Governance, Eeva Furman, Director- Environment Policy Centre, Finnish Environment Institute, Jean-Louis Girodolle, Directeur général Lazard France, Olli Rehn, Governor, Bank of Finland et Karien Van Gennip, Présidente Directrice Générale- ING Bank France, l’expérience du Maroc en tant qu’Etat-stratège et Etat-providence, M. Benmoussa a signalé qu’au Maroc, le total des dépenses de l’Etat se situe aux alentours de 40 pc du PIB.
Au Maroc, l’Etat a lancé un certain nombre de politiques volontaristes dans le secteur industriel, en matière de transition énergétique ainsi que dans le domaine social. Mais ces approches ont montré leur limite, en partant du constat que la croissance n’est plus suffisante pour absorber les besoins en création d’emploi et que les inégalités demeurent à un niveau élevé, a relevé le Président de la CSMD, qui a questionné l’efficacité de la dépense publique. Il a également souligné la nécessité de développer d’autres sources de financement: attractivité des IDE, mobilisation de partenariats public/privé, ou encore à travers des approches plus innovantes en matière de Project finance.
Selon M. Benmoussa, la nécessité ou le besoin d’un nouveau modèle de développement s’est fait ressentir au Maroc « bien avant cette période de crise sanitaire » et la pandémie n’a fait que renforcer ce sentiment. Et de souligner que la création de la CSMD, émane de la nécessité de réfléchir sur le long terme et de le faire de manière participative, de co-construction, et dans une approche qui permet d’articuler un modèle qui s’appuie sur les atouts du Royaume et les opportunités.
Il a évoqué également le partenariat stratégique entre le Maroc et l’Europe et avec l’Afrique, « sachant qu’il y a une interdépendance réelle et des complémentarités qui peuvent être renforcées et qui peuvent permettre de répondre parfois à des défis qui sont communs ».
Concernant ce dernier point, Chakib Benmoussa a insisté sur le lien entre l’Europe et les pays du voisinage et notamment les pays au Sud de l’Europe qui « sont souvent vus plus comme des problèmes, alors que des solutions peuvent venir de ces pays » pour des problématiques liées à la sécurité, à la migration, ou même à la compétitivité de l’économie globale.
Les discussions lors de cette session sur « L’État aux commandes de l’économie » ont versé sur une réflexion sur l’efficacité de l’Etat « qui se pose avec acuité dans l’actuel contexte de crise sanitaire et ses répercussions socio-économiques ». Les panélistes ont souligné, dans ce cadre, que le débat sur l’efficacité de l’Etat, qu’il soit régalien, stratège ou providence, va se poser avec acuité dans les prochaines années.
Pour Olli Rehn, Governor, Bank of Finland, cette crise du covid-19 par sa portée mondiale a mis en évidence le nécessaire soutien public pour contenir les problèmes sanitaires et économiques et repartir sur des bases économiques saines. Toutefois, cette augmentation du rôle des gouvernements ne peut et ne doit être que temporaire. Il est important de revenir à des forces du marché avec la concurrence, car c’est plus sain. Pour cela il faut une croissance durable pour faire face à la dette de la crise et contenir la panique du marché, a-t-il dit.
De son côté, Eeva Furman, Director- Environment Policy Centre, Finnish Environment Institute, a indiqué que la crise du covid-19 a démontré la nécessité pour l’Europe de se réorganiser en terme de planification et de structuration, soulignant qu’il est essentiel que les actions prises lors de cette crise soient soutenues par un élément financier tout en tenant compte du développement durable. Elle a également souligné l’importance de l’action collective afin de développer l’efficacité de l’Etat dans la période post-covid.
Henrik Enderlein, Professor, Hertie School of Governance, a estimé que la crise du covid-19 a montré que l’Europe n’a pas été à la hauteur des exigences du moment. « Toutefois, depuis maintenant deux mois, le Vieux continent commence enfin à réagir à la crise et dans le bon sens avec l’idée de créer de la dette européenne pour atténuer le choc de la crise et réaliser une relance économique verte ».
Il a également souligné la nécessité pour l’Europe de s’affirmer comme « voix unique » dans les négociations de commerce international et de recouvrer sa souveraineté médicale nécessaire pour combattre une pandémie comme le covid-19.
Karien Van Gennip, Présidente Directrice Générale-ING Bank France a relevé, pour sa part « une crise de confiance dans le leadership en Europe », épinglant au passage « l’absence d’inclusion » et soulignant la nécessité, en ce temps de crise, de « renouveler le contrat social de façon plus durable ». Selon elle, la réponse à la crise doit privilégier le développement durable, appelant à réinvestir dans les innovations en Europe.
Jean-Louis Girodolle, Directeur général Lazard France a évoqué le financement de la transformation européenne, tout en relevant l’abondance du capital prêt à financer non seulement de l’Etat mais également des investisseurs, « ce qui pose la question de l’efficacité de cet investissement », a-t-il dit. Évoquant le débat sur la relocalisation qui a refait surface dans le contexte actuel de crise sanitaire, il a estimé que le tout-relocaliser ne peut certainement pas avoir lieu et « ce n’est pas non plus bénéfique » pour l’Europe qui doit être sélective dans sa relocalisation et se concentrer sur certaines chaînes de production stratégiques dans la santé, les technologies, l’intelligence artificielle, l’éducation, l’infrastructure et la 5G.
En conclusion, les panélistes ont été unanimes à souligner la nécessité pour les Etats de conjuguer dans les semaines, voire les mois à venir « résilience » et « efficacité » et d’opter pour une économie qui favorise de développement inclusif et durable.