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La lettre d’Italie. « Aucun Premier ministre au cours des vingt dernières années n’a présenté ses voeux pour les fêtes juives ou musulmanes » (Marco Baratto)

Dans un article paru sur le site « glistati generali », Marco Baratto, auteur du livre «Le défi de l’Islam en Italie», s’interroge sur la place des minorités religieuses en Italie. « Aucun Premier ministre au cours des vingt dernières années n’a exprimé un souhait pour les fêtes juives ou musulmanes», a-t-il déploré, relevant toutefois que le président de la République, Sergio Mattarella, a coutume de le faire. Texte. 
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Par: Marco Baratto
« Depuis plusieurs années, le président de la République italienne s’adresse aux citoyens musulmans à l’occasion de la fin du Ramadan, un geste qui fait partie de la norme dans les démocraties occidentales. En Italie, cependant, cela prend le ton d’une exception, car aucun Premier ministre au cours des vingt dernières années n’a exprimé un souhait similaire pour les fêtes juives ou musulmanes, comme le font régulièrement les dirigeants européens. Cette absence n’est pas seulement une particularité de la droite, souvent retranchée dans des positions identitaires rigides, mais aussi de la gauche, qui devrait être plus ouverte au dialogue.
 
En réalité, les deux partis politiques semblent être les deux faces d’une même pièce, affichant une indifférence substantielle à l’égard de la reconnaissance des minorités religieuses. Même les fêtes orthodoxes, lorsqu’elles ne coïncident pas avec les fêtes catholiques, ne reçoivent pas d’attention officielle. Ce manque d’ouverture reflète une mentalité obsolète, en quelque sorte réactionnaire, qui ne reconnaît pas la pluralité religieuse de l’Italie. Pourtant, dans les premières années de l’Unification, le pays comptait quatre présidents du Conseil de la foi juive. Avec l’avènement de la République, aucun chef de gouvernement n’est devenu catholique pratiquant, signe d’une longue tradition de pluralisme religieux.
 
L’Italie a toujours été un carrefour de cultures : chrétienne réformée, catholique, orthodoxe, avec une présence juive importante. Pourtant, dans les programmes scolaires, l’histoire du judaïsme en Italie est presque absente, alors que dans des pays comme le Maroc, le judaïsme est reconnu comme un élément fondamental de la culture nationale dans la Constitution. Il en va de même pour d’autres personnages historiques importants, comme Frédéric II et sa relation avec l’Islam, qui sont souvent négligés dans les programmes d’études. Cette déficience culturelle reflète un modèle ethnico-nationaliste qui plonge ses racines dans le fascisme le plus réactionnaire et qui, dans la période d’après-guerre, n’a pas été complètement surmonté. Le problème de la non-valorisation du pluralisme religieux en Italie ne concerne pas seulement les déclarations publiques, mais s’étend également aux institutions et aux politiques éducatives. L’école, qui devrait être le lieu premier de l’éducation à la diversité culturelle et religieuse, continue de transmettre une vision de l’histoire fortement centrée sur le catholicisme, ignorant ou minimisant l’apport des autres confessions.
 
La culture juive, par exemple, a joué un rôle fondamental dans l’histoire italienne, mais elle est traitée presque exclusivement en relation avec l’Holocauste, sans une contextualisation plus large de sa contribution à la société. La contribution de la culture islamique est également souvent ignorée, malgré la présence de communautés musulmanes en Italie qui constitue une réalité consolidée. Des personnalités comme Frédéric II de Souabe, qui au XIIIe siècle avait une vision éclairée des relations entre les différentes cultures et religions, sont marginalisées dans les programmes scolaires. Pourtant, Frédéric II était un exemple de dialogue et d’intégration : il parlait arabe, avait des conseillers musulmans et favorisait les échanges culturels entre l’Orient et l’Occident. Son expérience au sein du gouvernement démontre que le pluralisme n’est pas un concept moderne, mais une réalité qui a des racines profondes dans l’histoire italienne. Le manque d’attention au pluralisme religieux en Italie trouve également ses racines dans l’histoire du XXe siècle.
 
Durant le fascisme, le régime a promu une idée de la nation fortement liée à l’identité catholique et romaine, excluant d’autres composantes culturelles et religieuses. Cette vision monolithique de la société a survécu même après la chute du fascisme, influençant la culture politique italienne pendant des décennies. Dans d’autres pays européens, la nature laïque de l’État s’est traduite par une reconnaissance officielle des différentes communautés religieuses et une plus grande ouverture au pluralisme. En France, au Royaume-Uni et en Allemagne, les dirigeants politiques n’hésitent pas à adresser leurs vœux à l’occasion des grandes fêtes religieuses non chrétiennes, reconnaissant ainsi la valeur de la diversité.
 
En Italie, cependant, la politique semble encore liée à une conception archaïque de l’identité nationale, qui exclut ou marginalise les minorités religieuses. Dans ce contexte, la seule figure institutionnelle qui se distingue par une vision plus inclusive est le Président de la République. Chaque année, le chef de l’État envoie des messages de vœux pour les fêtes des différentes communautés religieuses présentes en Italie, soulignant l’importance du respect et de la coexistence. Ce geste, bien que symbolique, représente une prise de position importante dans un pays où le pluralisme religieux peine à trouver reconnaissance.
 
Le fait que le président de la République soit un catholique pratiquant rend cette attitude encore plus significative. Cela montre que le respect de la diversité n’est pas en conflit avec la foi personnelle, mais en est plutôt une conséquence naturelle. Le message qui en ressort est clair : la laïcité de l’État ne signifie pas nier les religions, mais garantir à tous une dignité et une visibilité égales. L’Italie a besoin d’un changement de paradigme culturel, qui reconnaisse que le pluralisme religieux a toujours été un élément fondamental de son identité nationale. 
 
Ce changement doit partir des institutions, mais aussi impliquer l’école, les médias et la société civile. Pour surmonter l’héritage d’un modèle ethnico-nationaliste, il est nécessaire d’introduire dans les programmes scolaires un récit plus inclusif de l’histoire italienne, qui valorise la contribution de toutes les communautés religieuses. Il est également nécessaire de promouvoir des politiques qui encouragent le dialogue interreligieux et la reconnaissance des fêtes des différentes confessions. Dans un monde de plus en plus globalisé, l’Italie ne peut pas se permettre de rester ancrée dans une idée de nation qui ne reflète plus la réalité. Reconnaître et valoriser la diversité religieuse n’est pas seulement une question de justice, mais aussi une nécessité pour construire une société plus cohésive et inclusive. La première étape consiste à briser le silence : la politique doit prendre la responsabilité de donner de la visibilité à toutes les communautés religieuses, non seulement par des mots, mais par des actions concrètes. C’est seulement de cette manière que l’Italie pourra véritablement se définir comme un pays démocratique et pluraliste ».

 

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