« Näss », l’autre nuit de Fouad Boussouf

C’est une première au Maroc pour ce chorégraphe franco-marocain, natif de Moulay Idriss Zerhoun, de présenter son spectacle intitulé « Näss » (Les Gens) en tournée dans plusieurs villes marocaines. C’est grâce à l’Institut français du Maroc, site de Meknès, qui a voulu présenter ce spectacle qui s’inspire de la culture marocaine et plus particulièrement du répertoire musical de Nass El Ghiwane.

Fouad Boussouf, un danseur et chorégraphe, directeur artistique de la compagnie Massala, enseignant, artiste associé à la Maison de la danse de Lyon pour la saison 2020-2021. Il dirige depuis le 1er janvier 2022 le Centre chorégraphique national du Havre Normandie, qui n’est pas une mince affaire.

Dès le premier moment, on est happé par le sentiment d’une attente toute particulière d’un spectacle qui porte un nom déroutant.  Sur scène, il fait noir. Au fond de la scène, une toile dressée ressemblant à un mur portant la couleur du béton armé. Rien ne se passe pour l’instant, pour une éternité. Une musique qui bourdonne tout doucement et voilà que les lumières commencent à peine à éclairer ces silhouettes qui retrouvent le mouvement. Est-ce la levée du jour où la nuit qui se réveille en plein jour ?

Les sept hommes nous livrent ce chiffre secret. Ce dernier est quasiment présent dans le registre religieux comme un chiffre de l’accomplissement. Dieu a créé le monde en sept jours. Chaque homme porte une couleur, cet indice lié aux couleurx, est un glissement dans l’univers des 7 couleurs, qui sont des moments et des passage obligés qui rythment le déroulement de la lila chez la confrérie des gnaouas. Une nuit qui ne peut pas aboutir à sa fin sans passer par les phases des 7 couleurs où chaque couleur représente un des Mlouks (les esprits). La transe (Lhal) est bien invitée discrètement pour prendre possession des corps de ces danseurs.

La musique est conçue pour accentuer les mouvements et les gestes saccadés de ces danseurs qui restent – malgré l’élévation qu’inspire la transe – ancrés au sol par cette folle ténacité de taper avec une force inouïe le sol. On avait l’impression d’être rappelé à notre amnésie propre à notre appartenance à la terre.

C’est une autre lila, l’autre nuit qu’a voulue Fouad Boussouf dressée comme une « qantara », un pont entre ces deux registres. La danse qui relève d’un patrimoine et cette autre danse urbaine. Cette dernière est appréhendée dans ce spectacle avec délicatesse et minée par cet apport si fort d’une culture riche et ancestrale.

Dans « Näss », le chiffre sept joue son rôle de fédérateur des corps pour former un collectif. Ce dernier est présenté par la force du mouvement comme une vague pleine d’énergie et de puissance spirituelle. Cependant, ce chiffre impair, est vulnérable dans les moments de dislocation du collectif. Ce qui favorise la formation des duos donnant lieu à l’émergence d’un solitaire qui devient par la suite une source de rassemblement. Avec ce rythme bien calculé et bien servi par une écriture obstinément ficelée, ne laisse rien échapper, le spectateur est pris en otage, très touché par ce moment poignant qui relève d’une sincérité éloquente.

« Näss », c’est aussi un hommage à ce groupe mythique de Nass El Ghiwan via ce travail solennel sur la fameuse chanson « Mahmouma ». Cette chanson qui a marqué une époque de ce Maroc, est perçue sous le prisme d’une danse qui lui a porté un regain d’une force tragique montrant à quel point il y a un pont invisible qui relie le passé au présent.

C’est la quintessence d’une création qui nous transformera à jamais.