Par Abdelghani Aouifia*
La péninsule coréenne s’engouffre depuis le début de l’année dans une atmosphère tendue, en raison des tirs d’essai répétitifs de missiles balistiques par la Corée du Nord.
Depuis plusieurs semaines, le Nord, sous l’impulsion de l’homme fort de Pyongyang Kim Jong-Un, procède à des tirs d’essai de missiles malgré les multiples mises en garde de la Corée du Sud et avec elle la communauté internationale.
Le dernier test a été effectué au milieu de la semaine dernière. Un nouveau missile balistique intercontinental (ICBM) a été lancé dans la mer de l’Est, envoyant des ondes de chocs à Séoul comme à Tokyo, les deux grands alliés de l’occident dans la région hautement névralgique d’Asie orientale.
La réaction du Sud ne s’est pas faite attendre. Séoul a mobilisé ses différentes armées pour des exercices conjoints impliquant certains des principaux missiles que le pays possède.
Dans la foulée, la Corée du Sud, qui est en période de transition après les élections présidentielles du 9 mars, a convoqué son Conseil de sécurité nationale pour mettre en garde contre la poursuite de l’escalade dans une péninsule qui n’a pas vraiment réussi à panser les blessures de la pénible guerre entre le Nord et le Sud (1950-53).
Fidèle à son attitude belliqueuse, Kim Jong-Un a laissé passer le weekend pour lancer lundi matin de nouvelles déclarations comme pour maintenir la tension dans la péninsule.
Il a évoqué, dans des propos relayés par l’agence officielle nord-coréenne, l’intention de son régime de se doter de ce qu’il a qualifié de « puissance militaire redoutable ».
« Ce n’est qu’une fois équipé de formidables capacités de frappe, d’une puissance écrasante » que le pays pourra « contenir et contrôler toutes les menaces et tous les chantages des impérialistes », a dit Kim Jong-Un lors d’une rencontre avec l’équipe qui a pris part au tir d’essai de la semaine dernière.
La rhétorique est bel et bien celle de la guerre froide. Les analystes estiment que l’histoire contemporaine de la péninsule a été certes ponctuée par des moments de haute tension née d’une hostilité qui ne s’est jamais évaporée entre les deux frères-ennemis, mais l’escalade de cette année porte en son sein de nouveaux ingrédients périlleux.
Les analystes évoquent notamment les opérations militaires russes en Ukraine et les récentes évolutions dans toute la région de l’Asie de l’Est et du Sud-Est asiatique. C’est une zone qui semble concentrer aujourd’hui, selon les analystes, à la fois le plus de tensions politiques, militaires et stratégiques et le plus d’intérêts commerciaux, financiers et technologiques.
La Chine, qui tente de jouer le rôle d’équilibriste à la faveur d’un poids politique et militaire croissant, est entrée sur le fil de la nouvelle tension.
La question a fait l’objet d’un entretien téléphonique, vendredi dernier, entre le Président chinois Xi Jinping et le Président élu sud-coréen Yoon Suk-yeol.
Suite à cet entretien, l’équipe de communication de Yoon, qui se prépare pour prendre les rênes du pouvoir en Corée du Sud, a publié une déclaration appelant Beijing à coopérer étroitement avec Séoul pour « la dénucléarisation de la Corée du Nord et la gestion stable de la situation politique dans la péninsule ».
Certains analystes ont vu dans la déclaration sud-coréenne une traduction de la frustration qui marque les relations entre la Corée du Sud et le voisin chinois, malgré les initiatives de rapprochement.
Selon ces experts, le dossier nord-coréen représente l’un des différends structurels dans les relations entre deux pays qui jouent un rôle central pour la stabilité des chaines mondiales d’approvisionnement.
Le message officiel diffusé à Beijing suite aux entretiens entre Xi et Yoon, a résumé d’une manière éloquente l’intérêt de la Chine.
La Chine est prête à travailler avec la Corée du Sud pour le renforcement de la coopération internationale et régionale et œuvrer activement pour garantir la stabilité et la fluidité des chaines d’approvisionnement mondiales, a dit le chef d’État chinois cité par l’agence officielle de presse Xinhua.
Dans la presse sud-coréenne, le ton est rehaussé contre la Chine et la Russie pour avoir « bloqué », vendredi dernier, une résolution du Conseil de sécurité de l’Onu dénonçant les provocations de Pyongyang.
Le Korea Times, un des principaux titres en Corée du Sud, est allé jusqu’à faire état d’« inquiétudes croissantes que la Chine, la Russie et la Corée du Nord se dirigent vers un renforcement d’un axe tripartite contre les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud sur fond d’une guerre froide émergente ».
Les analystes sud-coréens appellent la prochaine administration de leur pays à chercher activement à renforcer l’alliance stratégique, militaire et sécuritaire avec les États-Unis comme principal bouclier contre les provocations du Nord.
On plaide aussi pour une diplomatie sud-coréenne plus active pour freiner les ambitions d’une Corée du Nord qui cherche, d’après les analystes, à profiter du conflit en Ukraine et de la transition en cours en Corée du Sud pour renforcer son programme d’armement nucléaire et saper l’équilibre déjà fragile dans la région et au-delà dans le monde.
*Journaliste MAP