Argentine: Une photo du président lors d’une fête soulève un tollé

Par: Rachid MAMOUNI*

L’onde de choc provoquée par une photographie d’anniversaire, prise dans la résidence officielle du président d’Argentine, est incommensurable.

A l’heure actuelle, il est encore tôt pour mesurer l’impact précis sur la gouvernance du pays après la diffusion de cette photo, mais les prochaines échéances électorales vont sans nul doute révéler l’ampleur du choc sur l’échelle de la sismologie politique en Argentine.

Mais, pourquoi une simple photo d’anniversaire occupe-t-elle, et préoccupe-t-elle, depuis plusieurs jours la scène politique et médiatique en Argentine ?

Il y a d’abord les personnages mis en scène sur la photo. Le président Alberto Fernandez, son épouse Fabiola Yanez et une dizaine de convives triés sur le volet pour assister à l’anniversaire de la première dame.

Mais la donnée qui revêt une valeur capitale est celle de la date de prise de la photo: le 20 juillet 2020. A cette époque, l’Argentine vivait une période de quarantaine très sévère, imposée par un décret signé par le président. Insoutenable politiquement.

La question de bon sens que se sont posés les argentins de tous bords, les amis et alliés politiques du président comme ses détracteurs, est la suivante : comment est-il possible qu’une fête de cette ampleur a pu être organisée un soir de juillet dans la résidence officielle, alors que tout le pays était censé observer un confinement strict ?

Par deux fois, le président est sorti dans les médias pour demander des excuses à ses concitoyens, plaidant l’imprudence due à un moment de distraction.

Interrogé par la MAP, l’analyste politique Pablo Ibañez estime que les « premières conséquences ont été le malaise et les tensions internes que cette photo a générés au sein du gouvernement et parmi les militants de l’alliance au pouvoir ».

Selon Ibanez, « c’est l’image du président qui en a pris un coup », d’où la crainte de la coalition du « Front de Tous » qui soutient le président, de perdre une partie des fameux « votes volatils » qui pourraient faire pencher la balance en faveur de l’opposition, notamment dans la zone métropolitaine de Buenos Aires où réside presque le tiers du corps électoral.

Toutefois, le journaliste et analyste politique nuance cette crainte de la coalition au pouvoir, parce que selon lui, le soutien au gouvernement s’étiolait bien avant cet épisode de la photo, principalement à cause de sa gestion de la pandémie et du non-respect de ses promesses électorales.

Dans ce panorama en pleine recomposition, l’opposition de droit, qui est jusque-là affaiblie depuis qu’elle a perdu les élections présidentielles, semble tenir en cette photo de la discorde un outil politique puissant pour récupérer le terrain perdu.

Ses principaux leaders, dont l’ancien président Mauricio Macri, ne laissent passer aucune occasion pour épingler le président et pointer du doigt « le caractère immoral » de la fête organisée en pleine période de confinement.

L’ex-président a notamment dénoncé, dans une interview à une télévision locale, le fait que la coalition au pouvoir, qu’il a qualifiée de « caste », et dont le président est la figure de proue, se croit au-dessus des lois.

Julian d’Imperio, journaliste politique dans le prestigieux site d’information « Perfil », abonde dans le même sens. Il juge, dans une déclaration à la MAP, que cette affaire « qui génère un degrés d’indignation hors du commun, devient de plus en plus latent et s’est installée dans la durée ».

« Je pense que cela affecte définitivement l’image du gouvernement, qui subit une double usure : la gestion de la pandémie et la situation économique (inflation, chômage et baisse des salaires) », a ajouté D’Imperio, qui estime que cet « épisode de privilèges dans la classe politique engendrera bien une perte de votes », au détriment du gouvernement.

Toutefois, nuance-t-il, « comme il n’y a pas un grand chef de l’opposition pour canaliser cette indignation, il pourrait s’agir d’une élection avec davantage de votes blancs, de votes de contestation ou d’abstention ».

A trois semaines des primaires qui précèdent les législatives de novembre prochain, pendant lesquels le centre-gauche au pouvoir joue son va-tout, le défi actuel du gouvernement est de faire oublier le plus vite possible ce chapitre d’une photo indésirable qui n’aurait jamais dû être publiée. Une trahison dans le cercle intime de la première dame.

Au même moment, l’opposition œuvre par tous les moyens en sa disposition afin de maintenir à flot cette photo sur la scène médiatique et sur les écrans des télévisions, avec l’espoir que les électeurs s’en rappelleront à l’heure de mettre le bulletin dans l’urne en novembre prochain.

MAP