Les réactions au décès de Touria Jabrane le 24 août dernier, ont été unanimes sur les qualités de cette dame exceptionnelle. Au-delà de son engagement théâtral, celle qui a commencé à pratiquer son art très jeune auprès d’Abdeladim Chennaoui avant de décrocher ton ticket d’entrée à l’école théâtrale de Tayeb Saddiki, fut une militante et une femme politique.
La bilan de son mandat à la tête du ministère de la Culture, écourté pour des raisons de santé, fut en près de deux années largement positif avec par exemple les premières distributions des cartes d’artistes, l’ouverture d’un chantier de dynamisation de la chanson marocaine (décret 2-08-356), la relance des chantiers des infrastructures culturelles de l’époque, dont, entre autres, la Bibliothèque nationale et l’Institut Supérieur de Musique et de Danse.
Une amie de longue date de la défunte, lorsque je lui annonçai la nouvelle de son décès, a eu cette réaction spontanée et édifiante: « Mais nous avons toujours besoin d’elle »! Ceci est d’autant plus vrai que peu de gens au-delà du cercle des artistes savent que feue Touria fut à elle seule une institution de tutelle et celle vers qui nombre d’artistes se sont tournés en désespoir de cause face aux déboires de la vie ; et surtout la précarisation indéniable et réelle de leur situation.
Il est des personnes qui vivent l’histoire et d’autres, moins nombreuses, qui l’écrivent… La défunte appartenait à la seconde catégorie… C’est elle qui a toujours eu à coeur d’aider son prochain et participer à aplanir les difficultés et régler les différends ; et aujourd’hui encore, le vide qu’elle laissa ira en grandissant ; vu que le secteur culturel est toujours -structurellement- en quarantaine ; à l’image de la situation socioéconomique difficile que vivent la majorité des professionnels.
Il faut surtout préciser encore une fois, aux bien ou mal pensants, qu’au niveau social il y a une réelle absence de mécanismes d’accompagnement et de prise en charge de nos concitoyens qui font notre culture, pourtant prévus par des textes législatifs qui tardent à être mis en application ; et Touria Jabrane participait à combler ce vide, ne cessant de donner de sa personne parfois au détriment de sa santé fragile.
Une question se pose et s’impose: quand la majorité de nos artistes et professionnels vivront-ils dignement de leur métier ? Ne méritent-ils pas la considération d’une société à l’épanouissement de laquelle ils participent substantiellement ? Leur public et admirateurs ne devraient-ils pas garder une image digne de leur icône post-mortem, en lieu et place de vidéos indécentes où l’artiste devenu malade quémande une aide ou un soutien, même moral ?
En attendant le jour béni où l’inverse sera valable vis-à-vis de son statut et sa place dans notre société… l’artiste continuera sa noble mission dans l’animation et l’épanouissement de la vie publique.
La maxime de Tayeb Saddiki restera encore et toujours d’actualité: l’artiste doit vivre croûte que croûte…