
Enquête – Par Mohamed KHOUKHCHANI

Le 23 mai 1982, une nouvelle brutale secoue le Maroc : la mort soudaine de l’économiste et dirigeant de gauche Aziz Belal, survenue à Chicago alors qu’il était en mission officielle. Âgé de cinquante ans seulement, au sommet de sa carrière intellectuelle et politique, Belal laisse derrière lui un vide immense et un mystère jamais entièrement élucidé.
Qui était vraiment Aziz Belal ? Plus qu’un simple élu local du PPS.
Au-delà de son poste de conseiller communal pour le Parti du Progrès et du Socialisme (PPS), souvent étiqueté comme proche du bloc soviétique, Aziz Belal fut avant tout :
● un économiste de haut niveau, spécialiste des politiques de développement
● un universitaire parmi les plus influents de sa génération
● un penseur engagé, développant une analyse critique du modèle économique postcolonial
● un intellectuel à l’envergure nationale et maghrébine
Formé en France en sciences économiques et financières, il a contribué à l’émergence d’une véritable école marocaine d’économie du développement, centrée sur :
● la justice sociale,
● l’intervention stratégique de l’État,
● la réduction des inégalités régionales,
● et la souveraineté économique des pays du Sud.
Son influence dépassait largement les frontières partisanes. Belal était écouté aussi bien par ses étudiants que par des responsables politiques et des experts internationaux.
Pourquoi était-il à Chicago en mai 1982 ?
Les sources francophones et anglophones s’accordent sur le fait que Belal se trouvait à Chicago pour une mission officielle liée à un congrès international sur le développement économique. Sa participation impliquait des rencontres avec :
● des experts de l’ONU,
● des chercheurs américains,
● des représentants d’institutions financières internationales.
La nature exacte de la mission demeure toutefois floue, notamment parce qu’aucun document officiel complet n’a été rendu public.
Le drame : un incendie nocturne aux circonstances obscures
Belal a été retrouvé mort dans sa chambre d’hôtel après un incendie survenu durant la nuit. La version communiquée aux autorités marocaines évoquait un « accident ». Mais l’affaire s’est rapidement enveloppée de zones d’ombre :
● des journaux locaux à Chicago ont fait état de traces d’accélérants typiques d’un incendie non accidentel,
● des témoins ont mentionné un retard anormal des services d’incendie,
● aucune communication officielle détaillée n’a été fournie par les autorités américaines.
Ces éléments ont alimenté des interrogations persistantes.
Un incendie accidentel… ou provoqué ?
Aucun rapport public n’a jamais confirmé l’hypothèse d’un acte criminel, et la thèse de l’accident demeure la plus citée. Cependant :
● certains historiens et politologues marocains estiment que le dossier n’a jamais été traité avec la transparence nécessaire,
● des militants de la gauche marocaine de l’époque ont exprimé des doutes, évoquant les idées “dérangeantes” de Belal au sein d’un contexte international tendu,
● aucun rapport d’autopsie complet n’a été communiqué à sa famille ni rendu public par les autorités.
L’absence de preuves formelles laisse toutes les hypothèses ouvertes.
Un dossier jamais refermé.
Plus de quarante ans après sa disparition, plusieurs questions restent sans réponse :
● Pourquoi les conclusions officielles n’ont-elles jamais été publiées ?
● L’enquête américaine a-t-elle été close trop rapidement ?
● L’État marocain a-t-il demandé des éclaircissements complets ?
● Pourquoi aucune initiative institutionnelle n’a-t-elle été prise pour revisiter le dossier ?
La mort d’Aziz Belal demeure l’un des non-dits les plus persistants de l’histoire politique contemporaine du Maroc.
Un héritage intellectuel immense… et un mystère ouvert
Si les circonstances de sa mort restent obscures, l’héritage scientifique et moral de Belal est lui bien réel : ses analyses sur la dépendance économique, ses critiques du libéralisme importé et sa vision d’un État stratège continuent d’inspirer les chercheurs et enseignants.
Sa disparition brutale a été vécue comme une perte nationale, mais aussi comme le début d’une énigme qui continue d’habiter la mémoire collective.





