ACTUALITÉÉCONOMIE

Décryptage – Le Maroc carbure au charbon russe : pragmatisme économique et affirmation d’un modèle multilatéral

Par: Marco BARATTO

Par: Marco BARATTO 

Depuis plusieurs années, le Maroc s’impose comme un acteur régional qui mise sur la diversification de ses partenariats économiques et diplomatiques. L’annonce récente de Viatcheslav Timtchenko, premier vice-ministre de l’industrie et de l’énergie de la région russe de Rostov, illustre parfaitement cette dynamique : malgré les sanctions occidentales, les compagnies charbonnières russes ont trouvé de nouveaux débouchés en Afrique du Nord, notamment au Maroc, mais aussi en Égypte et en Algérie.

Derrière ce réajustement des flux commerciaux se cache une logique plus profonde : Rabat, fidèle à sa ligne historique de défense de l’unité nationale et de souveraineté, développe un modèle économique multilatéral qui se veut résolument indépendant des idéologies et ancré dans l’intérêt national.

Une réorientation des marchés russes qui profite à l’Afrique du Nord

Les chiffres communiqués par les responsables russes sont révélateurs. Plus de 650 000 tonnes de charbon de Rostov ont été exportées au premier semestre 2025, un volume comparable à celui de l’an passé malgré les restrictions imposées par l’Union européenne. Une partie non négligeable de ces cargaisons a trouvé preneur en Afrique du Nord. Pour la Russie, il s’agit d’une stratégie de survie face à l’isolement occidental. Mais pour le Maroc, c’est l’opportunité de renforcer sa sécurité énergétique en diversifiant ses fournisseurs.

Le charbon reste, malgré les transitions en cours, une composante essentielle du mix énergétique marocain, notamment pour l’alimentation de certaines centrales électriques. Cette réorientation s’inscrit également dans un contexte global : l’Afrique du Nord devient une plaque tournante des échanges avec la Russie, à la fois pour des raisons géographiques et parce que ses pays affichent une volonté d’autonomie dans leurs relations extérieures.

Le pragmatisme marocain : un cap constant

Depuis l’indépendance, le Maroc a toujours veillé à maintenir une politique étrangère équilibrée, centrée sur la défense de son intégrité territoriale et de ses intérêts économiques. Contrairement à d’autres pays, Rabat n’a jamais souhaité s’enfermer dans une logique de blocs idéologiques. Ce choix se manifeste aujourd’hui avec une clarté particulière : alors que de nombreux États occidentaux tentent d’isoler la Russie, le Maroc ne rompt pas ses relations avec Moscou, sans pour autant se détourner de ses partenaires européens et américains. Le Royaume applique ainsi une diplomatie de complémentarité, cherchant à tirer profit de toutes les opportunités sans s’aliéner aucun camp. Cette flexibilité répond à une réalité : le Maroc ne peut pas sacrifier ses besoins en énergie ni ralentir ses ambitions de développement économique sous prétexte d’alignements idéologiques. Le charbon russe, disponible à des conditions avantageuses, constitue donc une source d’approvisionnement bienvenue, en attendant que les énergies renouvelables atteignent une capacité suffisante pour couvrir la demande croissante.

Une cohérence avec les priorités africaines

Le choix du Maroc ne peut se comprendre pleinement que si on l’inscrit dans son rôle africain. Depuis deux décennies, Rabat s’emploie à devenir un moteur de coopération Sud-Sud, multipliant les partenariats économiques avec ses voisins du continent. L’Afrique, confrontée à des besoins énergétiques immenses, a besoin d’un accès diversifié aux ressources. En acceptant d’importer du charbon russe, le Maroc ne se limite pas à une logique nationale : il contribue à structurer un axe africain capable de nouer des relations pragmatiques avec différents pôles mondiaux. Cette approche contraste avec l’idée d’une dépendance exclusive à l’égard de l’Europe, longtemps perçue comme incontournable. Ainsi, Rabat se positionne comme un acteur qui aide à redéfinir les termes du jeu économique africain : autonomie, ouverture à de multiples partenaires et recherche d’avantages concrets pour le développement.

Le Maroc, entre transition énergétique et réalités immédiates

Certes, le Royaume a pris des engagements forts en matière de transition énergétique. Avec ses immenses projets solaires (Noor à Ouarzazate) et éoliens (notamment dans la région de Tarfaya), il ambitionne de devenir un champion des énergies renouvelables. Toutefois, cette transition ne peut pas se faire en un claquement de doigts. Les besoins actuels du Maroc en électricité, qui augmentent avec la croissance démographique et industrielle, exigent encore un recours au charbon. Importer du charbon russe répond donc à un impératif de court terme, sans remettre en cause la trajectoire verte du pays à long terme. Au contraire, en sécurisant ses approvisionnements, Rabat garantit la stabilité nécessaire pour financer et réussir cette transition.

Une diplomatie économique multilatérale

L’orientation actuelle de Rabat illustre une diplomatie économique où les considérations idéologiques sont reléguées au second plan. Le Maroc ne choisit pas entre l’Est et l’Ouest, mais entre ce qui sert ou non ses intérêts. Avec la Russie, il s’agit d’assurer l’approvisionnement en ressources énergétiques stratégiques. Avec l’Europe, Rabat poursuit ses accords commerciaux et son partenariat privilégié. Avec les États-Unis, il maintient une coopération militaire et sécuritaire solide. Avec la Chine et l’Inde, il développe des projets d’infrastructures et d’investissements industriels. Ce pragmatisme se retrouve également dans le rôle croissant du Maroc comme hub financier et logistique africain. Casablanca Finance City attire les capitaux étrangers, Tanger Med s’impose comme un port incontournable pour le commerce mondial, et les partenariats énergétiques renforcent la stature géopolitique du Royaume.

Une leçon pour l’Afrique

En choisissant de collaborer avec Moscou tout en consolidant ses liens avec d’autres partenaires, le Maroc offre une leçon de réalisme à l’ensemble du continent. L’Afrique ne peut pas se permettre d’être prisonnière de rivalités géopolitiques extérieures. Elle doit, au contraire, tirer parti des concurrences entre grandes puissances pour maximiser ses bénéfices. Le charbon russe en Afrique du Nord, dont une part importante transite par le Maroc, devient donc un symbole : celui d’une nouvelle ère où les pays africains assument leur autonomie et définissent leurs propres priorités.

Conclusion : l’indépendance par l’équilibre L’exemple du Maroc montre qu’il est possible de concilier fidélité à ses principes — en particulier la défense de l’unité nationale — et pragmatisme économique. En se fournissant en charbon russe, Rabat ne fait pas un choix idéologique, mais un choix stratégique, dicté par l’intérêt national et par une vision africaine de la coopération. Le Royaume trace ainsi la voie d’un modèle multilatéral qui gagne en pertinence dans un monde fragmenté. Pour le Maroc comme pour l’Afrique, l’avenir ne réside pas dans l’alignement, mais dans l’équilibre.

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page
Soyez le premier à lire nos articles en activant les notifications ! Activer Non Merci