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Marrakech : Ces cercueils roulants venant de Chine

Par: Saïd Bouaita

Par: Saïd Bouaita

Le titre de cet article s’inspire de la série historique « La mort venant de l’Orient » (Al Mawat alqadim min alchark), réalisée par Najdat Ismail Anzour et son assistant Mohammed Zuhair Rajab. Considérée comme l’une des meilleures séries dramatiques historiques, elle raconte l’histoire d’une ville orientale (la Ville Lumière), autrefois paisible et stable. Mais son humeur paisible changea bientôt lorsqu’un groupe de bandits apparut, déguisés en hommes d’affaires. Ils prirent le contrôle de la ville, d’abord grâce à leurs richesses, puis en s’emparant de son ministre (personnage d’Abbad). Après avoir consolidé leur pouvoir, ils tuèrent le gouverneur (Nahar), son épouse et conseillère (Al-Safi), ainsi que le fils de ce dernier (Saif). Ils installèrent Abbad comme dirigeant de nom seulement. Cela changea le destin du peuple et du pays, qui se retrouvèrent face à la mort.

« Mort venue de Chine »

La mort est le dénominateur commun entre la série « La mort venant de l’Orient » d’Ismail Anzour, perpétrée par des inconnus de la ville (la Ville Lumière) (de faux marchands), et « Mort venue de Chine », perpétrée par des motos de Marrakech, et due à diverses pratiques et comportements juvéniles. Et si le personnage de Saif (interprété par l’artiste Saad Mina, fils du célèbre romancier syrien Hanna Mina), qui a survécu au massacre, a mené un soulèvement populaire contre les tyrans (les semeurs de mort) aux côtés du personnage de Chams. Malgré l’élimination de la tyrannie/mort, le dernier épisode de la série montre que la lutte contre les tyrans/la mort se poursuit et se renouvelle, bien que sous des formes et des méthodes différentes. La mort, qui débarque à Marrakech, a été volontairement choisie par l’acquisition de motos et leur conduite imprudente et ostentatoire.

A tombeau ouvert!

Un phénomène qui fascine les visiteurs de Marrakech est le grand nombre de motos, ainsi que de vélos. C’est particulièrement vrai pour les femmes de la ville qui les utilisent pour se déplacer et faire leurs courses. C’est pourquoi Marrakech est connue comme la ville du vélo par excellence. Rares sont les foyers marrakchis qui ne possèdent pas de moto ou de vélo. Selon certaines statistiques, on compte plus de 200 000 motos et plus de 50 000 vélos à Marrakech.

Mais ce phénomène s’est transformé en tragédie, suite à l’augmentation significative des accidents mortels de la circulation causés (notamment) par les motos C90, ou celles qui ont été modifiées (notamment les C50) de fabrication chinoise.

Plusieurs personnes qui suivent les accidents de moto à Marrakech attribuent la forte demande pour la C90 à deux facteurs principaux. Le premier est son prix relativement abordable par rapport aux autres types de motos. Le second est sa vitesse, qui peut atteindre 120 kilomètres par heure (et dépasser cette vitesse avec des modifications).

C’est là que les jeunes de la ville et de sa banlieue trouvent leur vocation, tant que conduire une moto ne leur paraît pas approprié, sauf à vitesse excessive. Mais quand vitesse excessive rencontre l’insouciance juvénile, la mort est assurée. L’admiration pour la moto à Marrakech se transforme en vision de malheur, à tel point qu’il ne se passe guère de jour sans qu’on entende parler d’un accident mortel.

Des cercueils roulants

Les motos sont la cause quotidienne de nombreux accidents mortels de la route. Cela soulève la question de la cause de cette augmentation du nombre de décès dans une ville qui a toujours été une « ville cyclable ». La réponse est simple : un simple inventaire des accidents de la route enregistrés ces dernières années, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’agglomération, révèle que la moto C90, en particulier, en est la cause. Pour couvrir les accidents de la route causés par ce type de vélo, ceux causés par les tricycles (triporteurs), également fabriqués en Chine et conçus pour transporter des marchandises et des personnes, les rues des villes se transforment en circuits de course, menaçant la vie des cyclistes comme celle des piétons. C’est comme si le code de la route ne concernait pas les cyclistes.

L’absence de pistes cyclables dans la plupart des rues de la ville oblige les cyclistes à emprunter la même route que les voitures, les camions, les bus et les remorques, ce qui entraîne des embouteillages et augmente les risques de collisions et d’accidents. Cette situation est exacerbée lorsque les piétons partagent la même route, notamment depuis que les cafés et restaurants ont investi la majeure partie des trottoirs de la ville.

« Pavillon C90 »

En raison des nombreux accidents mortels qu’elle provoque, les Marrakchis l’ont surnommée « la tueuse ». C’est même devenu l’une de ses marques de fabrique. Pour plaisanter, les Marrakchis ont même évoqué la présence d’un pavillon spécial à l’hôpital Ibn Tofail (surnommé localement « sbitar civil ») dédiée aux victimes de motos. Sous le nom de « Pavillon C90 », le service des urgences de l’hôpital accueille chaque année entre 7 000 et 10 000 victimes d’accidents de la route. Les victimes d’accidents de moto représentent entre 50 et 60 % d’entre elles. Malgré l’humour qui a caractérisé « cette mort venue de Chine », cet humour cache une profonde tragédie.

Afin de mettre un terme aux massacres causés par les motos, dont la cause première est l’élément humain (principalement les jeunes), des voix se sont élevées récemment pour appeler à l’adoption d’un code de la route spécifique à cet effet. Mais les questions qui se posent avec force sont : pourquoi ces lois n’ont-elles pas été promulguées dès l’arrivée au Maroc de la première moto chinoise de ce type ? Avons-nous attendu trop longtemps avant d’exiger la promulgation de lois ? À quoi servent les lois si elles ne sont pas soutenues par une conscience humaine civilisée ?

Si les lois constituent la ligne de démarcation entre le comportement humain et le comportement animal, comme l’a formulé le sociologue français Émile Durkheim, l’animalité est-elle devenue une caractéristique du comportement humain actuel ? Les questions abondent, mais aucune réponse n’est en vue. Il ne reste plus qu’à attendre. « Attendez doncje serai avec vous parmi ceux qui attendent« . (Sourate Yunus, verset 102)

 

 

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