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Quand la poésie alerte : Ce que Günter Grass a osé dire sur Israël et l’Iran

Par: Chakib HALLAK (Enseignant-chercheur à Paris)

Par Chakib HALLAK*

Dans le contexte actuel de montée des tensions entre Israël et l’Iran, marquée par une escalade militaire persistante, les propos tenus par le lauréat du prix Nobel de littérature Günter Grass en 2012 prennent une résonance particulièrement pertinente.

Dans son poème intitulé «Ce qui doit être dit» (Was gesagt werden muss), l’auteur allemand met en lumière le silence médiatique et social entourant la politique israélienne et alerte sur les conséquences potentiellement dévastatrices d’une guerre préventive contre l’Iran, notamment en ce qui concerne la question nucléaire.

Ce texte a été publié à une époque où la communauté internationale exprimait déjà des réserves concernant le programme nucléaire iranien. Sa publication a suscité des réactions diverses, certains le considérant comme un acte de courage, tandis que d’autres l’ont perçu comme un sujet controversé, voire antisémite.

Cependant, au vu des récents développements géopolitiques au Moyen-Orient, cette prise de parole semble moins être une provocation qu’une mise en garde visionnaire.

Dans cet article, nous allons examiner en quoi ce poème, malgré son ancienneté d’une décennie, conserve sa pertinence face aux enjeux contemporains de sécurité, de liberté d’expression et de responsabilité politique.
Voici les passages clés du poème qui traitent de ce sujet:

1. La menace d’une frappe israélienne sur l’Iran

Grass évoque le risque d’une attaque israélienne contre l’Iran, justifiée par la suspicion que ce dernier développe une arme nucléaire :

« C’est le droit affirmé à la première frappe susceptible d’effacer un peuple iranien, soumis au joug d’une grande gueule qui le guide vers la liesse organisée, sous prétexte qu’on le soupçonne, dans sa zone de pouvoir, de construire une bombe atomique. »(Traduit par Olivier Mannoni.)

Il critique cette approche en soulignant que l’Iran n’a pas été prouvé comme étant en possession d’une telle arme, et que la crainte ne devrait pas suffire à justifier une attaque.

2. L’arsenal nucléaire israélien non contrôlé

Grass pointe également le double standard concernant la question nucléaire, en mentionnant Israël sans le nommer : « Mais pourquoi est-ce que je m’interdis de désigner par son nom cet autre pays dans lequel depuis des années, même si c’est en secret, on dispose d’un potentiel nucléaire en expansion mais sans contrôle, parce qu’inaccessible à toute vérification ? ». Il dénonce le silence international sur le programme nucléaire israélien, le qualifiant de « mensonge pesant ».

3. La complicité allemande dans la militarisation israélienne

Grass critique la politique allemande de soutien militaire à Israël, notamment la livraison de sous-marins capables de lancer des armes nucléaires :

« De ce pays, disais-je, Israël attend la livraison d’un autre sous-marin dont la spécialité est de pouvoir orienter des têtes explosives capables de tout réduire à néant en direction d’un lieu où l’on n’a pu prouver l’existence ne fût-ce que d’une seule bombe atomique, mais où la seule crainte veut avoir force de preuve». Il considère cette aide comme une complicité dans un crime annoncé.

4. L’appel à un contrôle international des arsenaux nucléaires

Grass plaide pour un contrôle international des programmes nucléaires des deux pays : « Il faut dire ce qui doit être dit maintenant, car demain il sera trop tard. Pourquoi, déjà suffisamment incriminés comme Allemands, prendrons-nous le risque de devenir complices d’un crime annoncé, ou notre part de culpabilité ne pourra disparaître par aucune des excuses habituelles ? ». Il appelle à une surveillance internationale des installations nucléaires iraniennes et israéliennes pour prévenir une escalade militaire.

Conclusion

Le déclenchement de la guerre entre Israël et l’Iran confère au poème une résonance prophétique tragique. Grass, dans sa condamnation préventive, appelle à la vigilance et au courage d’exprimer son inquiétude avant qu’il ne soit trop tard. Le but de son poème n’est pas de condamner unilatéralement, mais de réveiller une conscience collective qui s’est endormie par peur, par culpabilité historique ou par confort diplomatique.

Dans ce contexte de guerre, le poème se lit moins comme une provocation que comme un avertissement ignoré. Il nous invite à réfléchir non seulement aux mécanismes qui ont conduit au conflit, mais aussi au rôle du silence complice, aux responsabilités partagées et à l’importance du discours critique dans les sociétés démocratiques.

En bref, la guerre israélo-iranienne rend la voix de Grass tragiquement pertinente aujourd’hui. Ce qui devait être dit l’a été, mais peut-être trop tôt, de manière trop détachée ou sans être entendu. À travers ses vers, il nous rappelle que le devoir de parler ne meurt jamais, même lorsqu’il dérange, surtout lorsqu’il prévient de l’irréparable.

*Enseignant-chercheur à Paris

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