ACTUALITÉPOLITOSCOPE

De Tindouf à l’Italie puis au Sahel, le parcours du sahraoui djihadiste

Un média italien met en garde contre le basculement des "ambassadeurs de la paix" dans le terrorisme

Dans un article intitulé « Alerte au Sahel : le risque d’un sanctuaire djihadiste hors de contrôle aux portes de l’Europe », le média italien « Atlantico » détricote, de fil en aiguille, les liens avérés entre le polisario et les réseaux terroristes au Sahel, tout en alertant sur les implications sécuritaires majeures pour l’Europe.

« Atlantico », revue d’analyse géopolitique fondée par Nicola Porro, directeur adjoint du quotidien « Il Giornale », alerte également sur les menaces qui pèsent sur l’Italie face aux risques d’infiltration terroriste, notamment à travers le programme dit des « ambassadeurs de la paix », calqué sur l’initiative « Vacances en paix » déjà exploitée à des fins idéologiques par l’Algérie et le Polisario.

Il invite, dans ce contexte, les services de renseignement italiens à redoubler de vigilance face aux implications d’un tel danger pour la sécurité nationale et renforcer leur coopération avec les partenaires régionaux les plus fiables, à l’instar du Maroc, dont la diplomatie active dans les pays du Sahel lui assure une présence continue sur le terrain ainsi qu’un accès à des informations précieuses. Il conclut ensuite conclure que le groupe séparatiste du « polisario » ne constitue plus seulement un problème régional : il est désormais un acteur actif d’un axe de déstabilisation. 

Voici in extenso une traduction intégrale de cet article: 

Alerte au Sahel : le risque d’un sanctuaire djihadiste hors de contrôle aux portes de l’Europe 

Par: Costantino Pistilli

« Les services de renseignement espagnols ont tiré la sonnette d’alarme face à la menace djihadiste croissante au Sahel atlantique, où des combattants sahraouis radicalisés ont rejoint les rangs d’ Al-Qaïda et de Daech . C’est ce qu’a révélé un rapport confidentiel du Centre national de renseignement (CNI), rapporté par La Vanguardia, publié au lendemain de la célébration de la Journée des forces armées aux îles Canaries.

Le document met en lumière l’évolution de la crise dans ce qu’on appelle le « Triangle du Sahel » – Mali, Burkina Faso et Niger – l’une des zones les plus dangereuses du monde, qui est depuis plus d’une décennie le théâtre de guerres violentes entre groupes djihadistes et gouvernements affaiblis .

Nouveaux dirigeants

Le rapport met en évidence comment des individus originaires des camps de réfugiés sahraouis de Tindouf (Algérie), parmi lesquels d’anciens bénéficiaires du programme humanitaire espagnol « Vacances en paix », similaire au programme « Ambassadeurs de la paix » en Italie, ont atteint des postes de commandement au sein d’organisations terroristes. Élevés dans des familles d’accueil en Espagne et donc parfaitement à l’aise avec la langue et la culture espagnoles, ils sont désormais étroitement surveillés par les services de renseignement.

« Un groupe de djihadistes ayant eu des contacts étroits avec des familles espagnoles parle couramment le castillan et occupe désormais des postes opérationnels au sommet du terrorisme international », expliquent des sources du CNI. Leur rôle est jugé « inquiétant » en raison de leur capacité à agir discrètement et à mobiliser des individus en Europe.

Le rapport cite notamment deux acronymes : Jama’at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen (JNIM), affilié à Al-Qaïda , qui cherche à s’étendre vers le Maghreb dans le but de se rapprocher du continent européen, et Daesh–Province d’Afrique de l’Ouest (ISWAP), encore plus violent, qui voit une augmentation des Sahraouis radicalisés dans les rangs de ses dirigeants.

Nouvelles attaques

La situation sur le terrain est dramatique. Début juin, à l’occasion de l’Aïd el-Adha , la « Fête du Sacrifice », une nouvelle vague d’attaques a éclaté dans le sud du Mali et le nord du Burkina Faso. Au Mali , les chiffres sont choquants : plus de 400 soldats ont récemment péri dans des affrontements avec des milices djihadistes. À la tête de l’avancée extrémiste se trouve Iyad Ag Ghali , désormais considéré comme le nouveau « chef de guerre » du Sahel. Il commande une armée de plus de 6 000 hommes et a mis en œuvre une stratégie bien définie : consolider le contrôle des zones rurales, puis progresser vers les capitales – Bamako, Ouagadougou et Niamey –, reproduisant le schéma observé à Damas et Kaboul. L’objectif est de « talibaniser » les territoires occupés.

Camps de réfugiés

La région se trouve à un tournant. Une nouvelle escalade djihadiste pourrait transformer le Sahel en un sanctuaire incontrôlé, aux portes de l’Europe. La présence croissante de Sahraouis dans les rangs des djihadistes est particulièrement préoccupante. Leur implication confère au conflit une dimension mondiale nouvelle et plus alarmante.

Les camps de Tindouf, situés dans le désert algérien, accueillent environ 90 000 réfugiés sous le contrôle direct du Front Polisario, hors de la juridiction des Nations Unies. Les conditions de vie y sont extrêmes, marquées par l’abandon, la frustration et l’absence de perspectives. Ce contexte constitue un terreau fertile pour la radicalisation .

De ces camps sont issus des leaders comme Adnan Abou al-Walid al-Sahraoui , ancien élément du Polisario et chef de l’ État islamique au Grand Sahel (EIGS) jusqu’à son assassinat en 2021. Les groupes Fath al-Andalus et Khilafa, ce dernier démantelé en Espagne après la découverte d’un plan visant à frapper Madrid , ont également des origines remontant à Tindouf.

Instabilité politique

L’instabilité politique aggrave la situation. Les pays du Sahel peinent désormais à enrayer l’avancée des djihadistes et accusent leur voisin, l’Algérie, de favoriser l’instabilité et de soutenir les groupes djihadistes et séparatistes .

Le récent départ du groupe Wagner n’a pas marqué la fin de l’influence russe dans la région : Moscou continue de défendre ses intérêts stratégiques, notamment le contrôle des réserves d’or du Mali, par l’intermédiaire du nouveau corps paramilitaire connu sous le nom d’Africa Corps. Le remplacement s’est fait sans heurts.

Les routes migratoires

La pression qui en résulte sur l’Europe n’est pas seulement migratoire, mais aussi, et de plus en plus, sécuritaire . Les djihadistes traversent une phase de réorganisation : ils manquent de leaders forts, des frictions internes persistent et leur propagande est affaiblie. Mais selon les services de renseignement espagnols, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne reviennent frapper hors du continent africain. La route est déjà tracée : la route migratoire.

Pour l’instant, il y a peu de terroristes connus parmi les migrants arrivant par la mer – révèle une source du CNI – mais si les chefs djihadistes ordonnaient un changement de stratégie, ils pourraient facilement s’infiltrer parmi les migrants, en exploitant les mêmes réseaux criminels utilisés pour le trafic d’êtres humains.

L’ethnie peule est particulièrement présente au sein des groupes djihadistes, représentant environ 75 % du JNIM et 90 % de l’ISWAP. Cependant, les Peuls sont aussi parmi les plus touchés par les représailles militaires et nombre d’entre eux sont en fuite. Des milliers d’entre eux se réfugient en Mauritanie, dans le camp de M’Berra, où vivent aujourd’hui environ 200 000 personnes dans des conditions très difficiles . C’est de là que partent de nombreux cayucos, les bateaux de pêche traditionnels utilisés pour la traversée vers les Canaries . Au cours des douze derniers mois, les Maliens ont dépassé toutes les autres nationalités parmi les personnes débarquant illégalement dans l’archipel.

Polisario et djihadisme

Aujourd’hui, le Sahel est l’épicentre du terrorisme mondial . Selon l’Indice mondial du terrorisme 2024, la région a enregistré 19 % des attaques terroristes mondiales et plus de 50 % des décès.

L’effondrement des relations entre les gouvernements militaires et l’Occident a ouvert la voie aux groupes djihadistes, qui ciblent désormais également les pays côtiers : Sénégal, Ghana, Côte d’Ivoire. Ce n’est pas la première fois que les services de renseignement et les groupes de réflexion occidentaux soulèvent la question d’ une collusion entre le Polisario et le terrorisme djihadiste .

En avril, un rapport accablant de la Fondation pour la défense des démocraties (FDD) soulignait le rôle du Polisario comme passerelle pour la pénétration iranienne et du Hezbollah en Afrique du Nord. En mai, c’était au tour du Washington Post de révéler la présence dans les prisons syriennes d’une centaine de combattants du Polisario, venus soutenir les combattants du Hezbollah défendant le régime de Bachar el-Assad avant d’être arrêtés par le nouveau régime. En juin, un rapport du Center for National Interest , anciennement Nixon Center for Peace, dénonçait l’infiltration du Polisario au Sahel par l’Algérie.

Dans ce contexte, les services secrets italiens devront redoubler de vigilance quant aux implications d’une telle menace pour la sécurité nationale et renforcer leur collaboration avec les partenaires régionaux les plus fiables, comme le Maroc, dont la diplomatie active dans les pays du Sahel lui permet une présence continue sur le territoire et un flux d’informations précieuses. En conclusion, le groupe séparatiste Polisario n’est plus seulement un problème régional : il est un élément actif d’un axe déstabilisateur .

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page
Soyez le premier à lire nos articles en activant les notifications ! Activer Non Merci