
Par: Mohammed El Qandil *
« De l’enfance, je ne retiens que le nom. Un immense silence. Une nostalgie qui ne se dira jamais.
Je ne retiens que l’ombre où je suis né. L’orphelinat qui a grandi derrière mes yeux. La passion de vivre du beau comme un moine vit de contemplation pure et désintéressée.
Je tourne vers le visage de ma mère. Pieds nus, front découvert. Je demande pardon. Ses mains peuvent raconter l’histoire, ses rides une part de la vie que nous n’avons jamais attendue. En bas de la porte, nous n’étions pas destinés à voir les rayons de soleil de sitôt, à rendre la chanson de la vie beaucoup plus sacrée et hautaine.
En bas de la porte, nous avons pris de l’attente sa couleur d’hiver, seuls, mutiques, fragiles telles des étoiles qui manquent à la nuit.
En bas de ses pieds, je hèle ce paradis qui me manque. Perdu que je suis entre l’aveu des choses et l’insuffisance d’une certaine pudeur qui me retient. Je tisse une prière, adressée à toi, dans la foulée des noms qui m’assaillent, espérant avoir une belle raison à embrasser ton front, à courir les rues devant tes yeux pleins de douceur et de reproches très maternels.
Je joue trop avec les mots, ma mère !
Je joue avec ce qui me trahit et m’emmène au-delà de moi-même. Je joue à trancher la soif du corps, à soustraire cette tristesse qui habite, depuis, mes doigts écrivant. Je n’ai pas l’habitude de chercher la destination, encore moins le point de départ qui déclenche l’exil. Et je demande encore pardon. Dans le donjon du cœur, voici que je traverse la chambre de l’amour, relevant ce que juste tes empreintes ont voulu laisser sur le chemin du retour, toi, celle qui a toujours couru les jours d’oubli avec une vitesse incroyable.
Je joue maintenant !
Une vieille fatigue crie à mes oreilles ce que nul autre ne peut formuler ni dire. Une cloche ancienne, très petite, avec laquelle tu nous faisais dormir, moi et Youssef, vient frapper à la porte de la mémoire. Elle aussi refuse de déclarer faillite, de résorber la lueur. Celle que nous avons gardée au fond de nous, intacte. Solitaire. Noble à l’instar d’une stèle d’un soldat inconnu.
Grand-père, depuis sa tombe, veille sur le dernier mot de la bataille !
Sur la marge d’une blancheur qui ne se lit pas, je joue maintenant. Je continuerai à jouer devant l’infini de ton sourire. Je m’abrite dedans. Les mots, à loisir, m’inviteront sur ce promontoire où résident celles qui ont concurrencé la nature sans la brimer.
Celles qui ont su défier les rêves avec les lambeaux du jour.
De l’enfance, je ne garde que ma douleur Sauve. Ce n’est pas elle qui me fait mal. C’est sa déception. Une déception qui m’attend toujours au tournant. Qui grandit avec moi pareil à un arbre solide et intransigeant. A un sourire éteint dès sa naissance, sur les lèvres d’une matinée heureuse.
Ma mère, je te retiens ! Au bord du secret, je suis resté fidèle à l’ombre de ce qui me convient. Au bord de ta retenue, la dette de l’enfance est chère à payer. ».
*Poète, chercheur en littérature et arts plastiques /Inspecteur pédagogique