Par: Mohammed El Qandil *

Comme si la Terre chantait dans ses œuvres !
Mais avant, bien avant, elle a souffert, avec les arbres qui attendaient la fraîcheur, l’herbe la soif du désir, les plantes cette hauteur d’où est tenue la mesure de toute chose. Avant, elle a boudé la marche de la pluie, celle qui mettait du temps à louer les fièvres de l’été.
Le soir, chez lui, rentre très tôt comme d’habitude. Il a accompli le travail du veilleur. Dorment les êtres et les choses à la faveur d’une fatigue qui ne renonce jamais. Dorment et dans leurs âmes quelque chose qui n’appartient qu’au rêve du jour, ne grandit que pour accompagner les sourires des voisins cultivateurs. Demain sera meilleur. Il apportera la lumière de la simplicité et celle de la générosité extrême.
Mais la Terre, elle, ne sommeille pas. Ne ferme les yeux que pour déposer son secret chez l’artiste. Ce qu’elle suppose, c’est un travail sur les bordures des champs, souvent humides et nostalgiques ; c’est un regard sur ses sillons qui ne partent que pour revenir intacts vers celui qui les enfante ; c’est un désir de voir à l’intérieur les magmas qui tourbillonnent tels des sentiments opaques et qui ont besoin de se dire clairement et simplement ; c’est un salut de la main rugueuse du père qui a passé des années à oublier et d’autres à vivre le souvenir près d’une plante seule ; c’est le pain bien cuit de la mère, tout près du « Kanoun », là où s’élève la bienveillance du cœur qui verse tout dans le pardon.
Ce qu’elle implore, c’est les pieds sertis de blessures d’un enfant qui n’a, sans doute, jamais quitté les lieux de ses jubilations premières !
Chercher les œuvres de Mostapha Ghazlani – Peintre- sculpteur autodidacte de Benslimane -, me semble-t-il, doit se faire dans ses parages. Essayer de les comprendre ne peut se détacher d’une ombre qui ne cesse de les régir secrètement. Car comment s’assimiler ses ocres par trop chaudes qui rendent une affection originale ? Comment couver entre ses mains ses lignes de force qui segmentent les aplats de ses toiles et tracent un chemin construit d’abord dans le silence de ses terres vierges, d’horizons lointains ? Comment saisir ses signes hiéroglyphes qui rappellent les cavernes d’antan, celles d’Altamira et Lascaux, où l’Homme, pour la première fois, a fait face à ce qui fait peur et en même temps à ce qui le pousse à découvrir ?
C’est dans ce sens que les œuvres de Ghazlani sont primitives. Point de fioritures à parcourir. Pas de lieux à recompter au bout des doigts. Rien qu’un imaginaire fait de récits de récolte. Des souvenirs qui prennent de la Terre leur innocence. Rien que de l’eau suave qui irrigue les dessous d’une existence passée à courir entre la liberté nue du ciel et la patience qui revisite, à chaque fois, les reproches maternels.
La patience est ainsi large, à l’instar de ces tableaux imposants ; longs comme la racine qui reloge l’identité dans un socle fidèle et authentique.
Les œuvres de Ghazlani se placent de ce côté de l’esthétique qui croise identité et création. Elles sont de cette lignée qui inscrit au cœur de l’acte créatif une poésie originelle, celle qui ne cesse de déclamer la valeur de l’art au diapason d’une mère qui ne trahit jamais : la Terre
«Si je pouvais croquer la terre/ Et lui trouver du goût/ Et si la terre était une chose à croquer/ J’en serais plus heureux pour un moment…», peut à tout moment crier Ghazlani à l’instar de Fernando Pessoa.
Oui, il peut revendiquer ce poème sans rougir. Lui qui en explore les dimensions jusqu’aux moindres détails, dans ses œuvre poétiques, romanesques et même dans ses sculptures, sait de ce savoir instinctif que la Terre est pure générosité et que demeurer proche d’elle, c’est habiter une mère nourricière qui ne démissionne jamais.
*Poète, chercheur en littérature et arts plastiques /Inspecteur pédagogique