Paris: Zakia Laaroussi

Dans une nuit exceptionnelle à Paris, la création et l’exil se rencontrent dans une manifestation culturelle intitulée « Les Exilés Poétiques », où poètes et musiciens d’origines diverses fusionnent pour donner voix à la mémoire, à l’exil et à l’identité. Cet événement, qui s’est tenu au Théâtre Équestre Zingaro le 18 mars, n’était pas une simple soirée de poésie et de musique, mais une célébration de la résistance culturelle par l’art et la parole. Des artistes venus du Soudan, de Syrie, d’Iran, du Congo, d’Inde et de France s’y sont réunis, inscrivant l' »art de la rencontre » comme un acte de défiance contre les fractures du monde, une reconstruction patiente et vibrante des ponts humains. Ici, l’exil n’était ni absence ni errance, mais présence renouvelée, résistance douce et voix inextinguible.
Dans cette nuit imprégnée de vers et de mélodies, Hind Meddeb, écrivaine et journaliste d’origine marocaine-tunisienne, a incarné une présence singulière. Elle n’était pas seulement une voix parmi d’autres, mais une révolution feutrée, une flamme ardente, brûlant de mots qui ne connaissent ni hésitation ni censure, une poésie qui ose briser le silence imposé. Elle a déclamé son poème comme un insurgé prononce son premier manifeste, faisant vibrer les cœurs et dissolvant le silence de l’assemblée dans un élan d’admiration, non pas sous forme d’applaudissements ordinaires, mais d’un aveu tacite de la puissance des mots lorsqu’ils sont dits avec une vérité vive, une ardeur de sang.
Mais Hind Meddeb n’est pas qu’une poétesse ; elle est aussi une voix cinématographique en devenir, préparant actuellement un film sur la révolution soudanaise. Comme si l’art, pour elle, ne pouvait être détaché du tumulte du monde, comme si l’image et la parole devaient rester des armes insoumises. Dans sa présence, les mots étaient des lames, sa diction un acte de révolte, et le silence du public une révérence humble face à une énergie indomptable.
Quant à Khaled Aljaramani, il a incarné, à travers les cordes de son oud, l’écho vibrant de l’arabité, l’empreinte sonore d’une Syrie qui ne ploie pas sous les tempêtes. Sous ses doigts, l’instrument ne produisait pas seulement des notes, mais enracinait dans le théâtre les fondations d’une grandeur arabe inébranlable. Sa voix portait la chaleur d’une terre qui l’a vu naître, comme si Damas elle-même s’invitait à travers son jeu, insufflant au public une mémoire vivante de nostalgie, de douleur et d’espoir.
Cette nuit-là, le public n’était pas un simple auditoire, mais les témoins d’un moment où la poésie s’est mêlée à la révolution, où la musique a fusionné avec l’identité, où le verbe a épousé le destin.
Dans cet espace sacré du Théâtre Zingaro, le grand poète soudanais Moneim Rahma, connu pour la profondeur de sa voix poétique et son engagement démocratique, a illuminé la soirée d’une présence mystique. Ce théâtre semblait avoir été conçu pour lui, pour un poète qui traverse l’obscurité comme une lueur, secouant nos âmes d’un frisson silencieux. Il ne déclame pas des vers, il les incarne ; ses mots ne sont pas simplement entendus, mais ressentis, palpés, et infiltrés dans les replis les plus intimes de l’être, à l’image du souffle d’une flûte soufie dans un cercle de derviches tourneurs.
Moneim Rahma n’est pas seulement un poète, il est un derviche des temps modernes, portant dans sa voix cette mélancolie indomptable qui ne plie pas sous le poids du chagrin, mais qui s’élève en un escalier mystique menant vers une quête de pureté. Le Théâtre Zingaro, avec son espace libre et sa symbolique spirituelle, n’était pas une simple scène, mais un prolongement naturel de l’âme du poète. Comme si le lieu lui-même s’était préparé à accueillir son souffle, à contenir cette parole qui ne se dissipe pas, mais s’imprime en nous comme un rituel de transcendance.
Lorsque Moneim Rahma déclame ses vers, ce n’est pas un simple spectacle. Les cœurs et les esprits s’inclinent avant même que les corps ne le fassent, non pas en signe d’ovation, mais en un acte de reconnaissance intime. C’est l’inclination de l’amoureux ébloui, qui découvre dans sa voix la colombe blanche venue se poser sur son épaule, l’invitant à se délester du poids du monde, à porter son regard ailleurs… à l’intérieur, là où résident la profondeur et la clarté.