Par Marco Baratto*
Contrairement aux pseudo-conflits qui servent souvent plus la politique intérieure que l’intérêt véritable, l’autonomie de la Kabylie, aujourd’hui revendiquée sous forme d’indépendance, par rapport à l’Algérie repose sur des hypothèses historiques irréfutables. Non seulement la Kabylie est une région historiquement bien définie, mais elle peut également se targuer d’une homogénéité culturelle que l’on ne retrouve pas dans d’autres parties de l’Algérie.
En effet, la région se caractérise par la composition ethnolinguistique de sa population, dont l’écrasante majorité est d’ethnie amazighe et parle le kabyle amazigh. Les autorités coloniales elles-mêmes étaient conscientes de cette spécificité culturelle, à tel point qu’en 1844, le ministère français de la guerre publia le premier dictionnaire kabyle. Cet outil était indispensable car, jusqu’en 1857, toute la région était non seulement encore indépendante de la France (contrairement au reste de l’Algérie actuelle), mais possédait également sa propre formation étatique.
L’autonomie a toujours été un trait caractéristique de cette région: dès l’époque romaine, de nombreux soulèvements y ont surgi, qui ont longtemps mis à mal le pouvoir de Rome. Les conquêtes étrangères ultérieures, arabe au VIIe siècle et turque au XVIe siècle, n’ont pas non plus eu raison de cette région, qui est toujours restée essentiellement indépendante. Au Moyen Âge, les tribus amazighes de Kabylie ont été les protagonistes d’épisodes importants de l’histoire de l’Afrique du Nord. Par exemple, au Xe siècle, les Kutāma (tribu berbère originaire de l’actuel Nord-Constantinois et la Petite Kabylie, en Algérie) ont constitué le noyau des armées qui ont permis à Ubayd Allāh, le premier calife fatimide, de conquérir une grande partie de l’Afrique du Nord, en établissant plus tard son siège en Ifriqiya. Lorsque les Fatimides s’installèrent en Égypte, le commandement fut laissé à la famille kabyle des Ziridi qui continua à régner sur la Tunisie, tandis qu’une autre branche de la famille (les Hammadites) prenait le pouvoir en Algérie.
A l’époque ottomane, la Kabylie est non seulement restée essentiellement indépendante, mais a donné naissance à de véritables royaumes comme celui de Kuku ou celui des At Abbas. La même révolution qui a conduit à la naissance de l’Algérie d’aujourd’hui, en 1962, avait des combattants courageux qui espéraient une nation libre et pluraliste. Malheureusement, il n’en a rien été, comme en témoigne la fermeture de la chaire de langue amazighe à l’université d’Alger, créée en 1880, quelques mois seulement après l’indépendance de l’Algérie.
Si l’Algérie veut être fidèle à ses valeurs fondatrices, elle doit donner la liberté au peuple de Kabylie, peut-être à un stade précoce par une décentralisation avancée, une autonomie politique et administrative, et évaluer après une période si elle doit accorder l’indépendance totale. Ce n’est pas un choix facile, mais une forte autonomie régionale pour la Kabylie sauverait l’unité et l’intégrité de la nation algérienne.
*Politologue italien