Dans ce nouvel épisode de cette série, Ali Najab, ex-pilote de chasse, évoque l’évasion pour la première fois depuis le territoire mauritanien de six prisonniers de guerre marocains. Une évasion épique…
Certains prisonniers de guerre marocains avaient été effectivement emmenés à Oum Chiat à peu près 150 km à l’Est de Zouirat au nord de la Mauritanie.
Oum Chiat était l’endroit où se trouvait le plus grand cheptel de chameaux (1500 têtes environ) qui fut mis à la disposition de deux chefs Brahim Ghali et Mohammed Ould Lbouhali soi-disant ministres de la défense du polisario, fonction qu’ils avaient occupée l’un après l’autre.
Les prisonniers de guerre marocains étaient emmenés à Oum Chiat pour creuser des puits et tirer l’eau pour le cheptel. Il y avait aussi des troupeaux de chèvres.
En 1993, six prisonniers marocains étaient emmenés de Tindouf à Oum Chiat.
Leurs noms: Sergent Arzou Kaddour de Taza (dit Kouider) ; Rabei Lahcen de Séfrou ; Bennouna Mohammed de la région de Taza ; Jaafar Mohammed ; Hassan Tanji et Hassan Chrif. Ces braves militaires travaillaient sous les yeux vigilants de six gardiens militaires du polisario.
Ce jour du 25 mai 1993, les gardes leur avaient donné un travail à la tâche qui consistait à faire des briques (200 chacun). Une fois ce travail terminé, ils rejoignirent leur lieu d’habitation, une cave couverte. Après le petit déjeuner, le sergent Kouider sortit faire un état des lieux: il s’assura que le véhicule, un Mercédès type Unimog, était bien à sa place habituelle. Il passa à côté, pour vérifier discrètement que les deux kalachnikovs étaient toujours derrière le siège du conducteur. Il revint chez ses camarades. Sergent Arzou Kaddour dit Kouider raconte:
«Je rassurai mes cinq camarades que c’était le moment de partir ou jamais. Sitôt sortis de la cave, nous fonçâmes sur le véhicule pour nous emparer des deux fusils. Ensuite, nous surprimes les gardes dans leur chambre. Nous les fouillâmes et ligotâmes. Nous les fîmes monter tous les six dans le véhicule. Après cette opération, je chargeai l’un de mes camarades de faire le plein du véhicule. Un autre se chargea de ramener un bidon de 200 litres plein d’eau. Un troisième nous procura 20 litres de lait de chamelle en bidons de 5 litres. Nous ramassâmes tout ce que les gardes avaient en leur possession en date, thé et sucre.
Nous primes le départ à 16 heures 30. Cet horaire fut choisi de telle manière que si d’autres devaient être au courant de notre évasion et nous suivre, ils ne le feraient qu’à la tombée de la nuit et par conséquent la poursuite leur serait très difficile.
Nous roulâmes toute la nuit à une vitesse modérée car l’Unimog est un véhicule qui possède un châssis haut et par expérience facile à se renverser à de fortes vitesses.
Le lendemain, nous roulions toute la matinée et à midi nous traversâmes la ligne de chemin de fer reliant Nouadhibou à Zouerate. Nous décidâmes de laisser les 6 gardiens à cet endroit là au point 60 km de Zouerate pour leur donner une chance d’être sauvés au passage du train. Avant de les quitter, nous leur proposâmes de rentrer au Maroc avec nous. Ils s’excusèrent justifiant leur choix par le fait qu’eux aussi avaient leurs familles aux camps à Tindouf et sans eux leurs enfants et leurs épouses seraient sans ressources et connaitraient beaucoup de difficultés pour vivre. Nous n’y trouvâmes rien à dire. Mais avant de les quitter, nous leur avions laissé suffisamment d’eau, du lait, du thé, du sucre et des dattes. Nous déviâmes notre route vers le nord Ouest. Nous étions donc hors du territoire mauritanien et venions d’entrer au Sahara. Mais nous étions toujours en zone d’insécurité totale parce que nous étions dans une zone tampon laissée au polisario par le Maroc au moment du cessez-le-feu. Nous avions roulé tout l’après-midi en nous faufilant à travers les acacias pour ne pas soulever de poussière derrière nous pour éviter de nous faire repérer. Avant la tombée de la nuit, nous essayâmes de nous repérer. Nous primes la direction nord ouest que nous avions estimée facilement avec le coucher de soleil. Nous avions roulé quelques heures la nuit tout en étant vigilants. A minuit nous poussâmes un grand Ouf !!Nous étions devant les barbelais du mur de défense. Malheureusement notre véhicule sauta sur une mine à l’entrée du mur. Notre camarade Rabei Lahcen eut une fracture à la jambe. Jaafar et moi étions légèrement blessés. Nous fumes accueillis par le 3ème bataillon du 4ème RIM puis reçus par le colonel Sahli, commandant le régiment. Nous fumes évacués sur l’hôpital militaire de Dakhla où nous avions passé 7 jours. De là Rabei fut évacué directement sur l’hôpital militaire Mohammed V à Rabat. Moi et mes autres camarades fumes conduits à l’état-major zone sud. On nous donna 5.000 dh chacun et 45 jours de permission».
Arzou Kaddour et Rabei Lahcen étaient des caporaux le jour de l’évasion. Ils furent promus au grade de sergent. Les autres étaient de simples soldats, ils furent promus au grade de caporal chef. Nous fumes maintenus dans l’armée. En 2003, trois d’entre nous furent mis à la retraite : moi avec le grade de sergent chef, Bennouna Mohammed avec le grade de sergent et Jaafar Mohammed avec le grade de caporal chef. Les autres n’avaient pas encore atteint l’âge de la retraite ; ils furent maintenus dans l’armée.