Les ruelles sinueuses de la Medina de Rabat et leur imprégnation par le temps furent la première source d’inspiration de l’artiste plasticienne Touria Licer. Son univers pictural est imprégné par les notions de « trace », « souvenir » et « empreinte »… qui reviennent souvent dans son discours.
Quand elle décida d’opter pour l’abstraction, cette imprégnation est restée. Au début, ses toiles abstraites furent marquées par une palette très colorée, modulées en des empâtements avec de forts contrastes ombre-lumière. Mais elle fit évoluer son travail vers un allègement chromatique et un minimalisme des formes. Touria Licer expose depuis 2005 et cette démarche vers l’allègement fut progressivement exprimée.
Tout en intégrant à son travail les techniques du coulis, du collage, les pigments et autres textures… elle a cherché à réduire progressivement le « surplus » de signes, de couleurs, de formes… Une quête vers une « sobriété esthétique » pour donner à voir et à ressentir « l’essentiel ».
Elle s’est ainsi orientée vers des tonalités plus suggérées qu’affirmées… nuancées entre blanc et jaune… y compris l’ocre avec ses dégradés. Les formes et les lignes sont devenues atténuées et tout juste perceptibles. Des empreintes entre le noir et le gris rehaussent les différentes nuances.
Elle a aussi conféré une dimension plus « aérée » à ses compositions en laissant un espace vide… blanc… autour de la toile. Les côtés dégagés ont accentué la gestion minimaliste de l’espace.
Sa démarche semble s’inscrire dans une sorte de « réductionnisme esthétique » qui, bien que fondé sur une incontestable énergie créative, reste marqué par la retenue et la tempérance. Un minimalisme porteur de beaucoup de sens.
Ces formes évanescentes, vaporeuses… ces couleurs diluées parfois brumeuses… renvoient évidemment aux notions du « souvenir » et de la « trace ». Le récit pictural de quelque chose qui était… et qui n’est plus. Que le souvenir… le souvenir du souvenir !
Pour Touria Licer, ce rendu « mnésique » n’est guère possible avec la brosse ou le pinceau, qu’elle utilise rarement. Elle préfère utiliser un morceau de tissu, une matière spongieuse, les doigts, la main… évitant une intermédiation rigide ente elle et la toile.
La main survole la toile, librement, à travers l’effleurement, la couverture, l’effacement, le tapotage… Un type de contact qui facilite l’émergence d’un ressenti lié au temps… avec une part de « flou ». La connexion avec le souvenir en devient meilleure. Jaillissement de formes et couleurs de la souvenance… suggestion de la trace et son ombre.
Elle a développé une technique « patine du temps » cherchant à reproduire cet effet qui dénature les teintes premières… pour les muer parfois en quelque chose de plus beau.
Avec cette démarche symbolique de « mimésis du temps »…l a toile tend à devenir à la fois « espace et temps ». Le champ est ainsi ouvert à une exploration esthétique infinie.
Son exposition intitulée « Mur-mures », en 2011, offre quelques clés. « Mur »… du latin « murus », enceinte d’une ville, fortifications, rempart. Ces murailles et ces remparts qui sont tellement présents dans l’imaginaire des peintres marocains !
Touria Licer affirme avoir toujours été fascinée par les vieilles cités comme Essaouira et Asilah. Elle dit rester longtemps méditative face aux vieux murs érodés, entretenant avec eux un lien émotionnel.
Mais elle ne tient pas à les reproduire sur ses toiles… elle part à la recherche de leurs couleurs patinées. Un imaginaire nourri de l’ocre, du jaune, du marron, de ces teintes d’argile,…
Ses toiles peuvent donc être perçues comme une « reconstitution » magnifiée du chromatisme d’un vieux bâti. Des fragments qu’elle reconstitue symboliquement, sur sa toile, avec de nombreuses matières dont la poudre de marbre et des pigments,…
Sa recherche porte sur des états d’âme, des sensations, des émotions, des impressions, des retours… relevant de l’indicible que Touria Licer essaie de capturer, traduire et partager. Lyrisme mémoriel et abstraction lyrique.
Au-delà de sa quête intérieure et esthétique, le message de Touria Licer… c’est l’art lui-même. L’art pour l’art, souligne-t-elle. Un travail abouti, issu d’une passionnante connexion avec la dynamique mentale du souvenir et de la réminiscence des lieux.