
Par: Mohammed El Qandil *

Khadija BENTAJAR est une artiste peintre marocaine, d’Essaouira exactement. Autant dire qu’elle appartient à une ville dont l’Histoire, la culture et les valeurs ont marqué la vie, le comportement voire l’imaginaire des gens. Autant affirmer qu’elle se reconnait, sans conteste, dans cette grande lignée de plasticiens qui ont constitué une école à part, et par suite ouvert les portes de la création à des échelles remarquables : Mohammed TABAL, Abdellah EL ATRACH, Fatima TALBI, Boujemaâ LAKHDAR…
Ex-professeure d’art plastiques, Khadija est une artiste modeste, ne fait pas dans les grandes pompes. Son travail, assez discret, tend vers la figuration libre, une espèce de représentation qui ne copie le réel que pour l’inscrire dans un monde idéal, utopique parce que devenu rare de nos jours. Ce monde, Khadija, ne cesse de le convoquer, de le questionner, de l’embellir… Elle le rend à portée de regard.
Quatre miroirs, à notre avis, en rendent la succulence :
Miroir 1 :
Les acryliques sur toile ou sur papier de l’artiste invitent à VOIR. L’invitation dont il est question est implication envoûtante, voyage dans les formes et les couleurs, déplacement dans les espaces et les temps. Carrés, triangles, rondeurs, arcades, lignes rectilignes ou obliques… créent une dynamique où les mouvements des personnages, leurs gestes ou danses, prennent de l’ampleur grâce à des plans nivelés des fois, contrastés d’autres fois. La composition qui en résulte est de l’ordre de l’euphorie contagieuse. Les tons chromatiques, souvent ocres clairs ou foncés, agencés de manière habile et heureuse, renfoncent ces contrastes et renvoient à l’idée d’un espace fécond et généreux, sujet à tous les mystères.
Miroir 2 :
Rien ne vient troubler cet espace onirique à force d’être réel. Pas d’intrus, d’élément qui divisent l’œil ou dérange la réception. L’artiste s’accapare notre attention d’une façon telle que nous devenons ses otages.
Espace intime, savamment organisé, orchestré par des chants, des festivités, des échanges, voici que des femmes- rien qu’elles les hommes étant rares – en tiennent les rênes et mesurent ses distances. Le rire qui s’en dégage, les youyous qui remplissent l’atmosphère, les verres de thé qui ponctuent les dialogues, les plats de Couscous ou Tagines qui parfument les airs… élisent un espace féminisé par excellence, dont la douceur excède les corps et les sens. Le monde d’antan surgit comme un bloc de mémoire, se saisit des lieux, comme si une incantation allait coloniser les recoins fuligineux du moment présent.
Miroir 3 :
A travers ce monde stylisé, ludique, innocent à plus d’égards – la présence presque constante des enfants en témoigne – BENTAJAR réveille en nous tout un cortège de sensations et d’émotions nostalgiques. C’est que pour le peintre l’esthétique est d’abord un déplacement dans la mémoire, un voyage dans l’amnésie du temps. Dès lors, prennent les devants certaines traditions et coutumes qui faisaient le bonheur des marocains : portes ouvertes, garantissant une libre circulation de la vie commune, des soirées spirituelles de Gnaouas, les après-midi de femmes devisant sur les secrets des ménages, l’entraide des voisins, la tolérance entre familles de confessions différentes, partage des moments de joie et de féeries clandestines…Il en ressort toute une anthologie culturelle constituant presque un musée de symboles forts et significatifs.
Miroir 4 :
Derrière ce musée dont BENTAJAR fait l’apologie, l’invisible par ricochet finit par apparaitre : le monde moderne, tel que nous le vivons, ne fait pas le poids, encore moins son morcellement, son égoïsme, sa dispersion des familles et des communautés, son abandon des valeurs qui faisaient notre identité et réclamaient notre droit aux honneurs de l’humain.
L’artiste – via son monde jubilant – s’élève contre toute forme d’égocentrisme, celui-là même qui vide la vie de tout sens, la rend fade voire impitoyable. Une leçon d’esthétique à cultiver !
* Poète, chercheur en littérature et arts plastiques/
Inspecteur pédagogique











