
Par: Mustapha Oudaha

Le texte littéraire est une expression, un acte de parole soigneusement structuré et subtilement organisé. C’est l’œuvre d’un écrivain qui, peut-être, a défié l’insomnie en cherchant comment donner existence à son nouveau-né, comment le tirer du néant. Ce texte possède une présence indéniable : dès qu’on le lit, il nous interpelle, nous incite à l’explorer, à nous immerger dans ses recoins lumineux comme à nous égarer dans ses zones d’ombre.
Roland Barthes souligne dans son essai (Qu’est-ce que la critique ?) que « la littérature permet de respirer ». Il en est de même pour nous: le texte littéraire nous permet surtout de comprendre, car il nous incite à chercher : c’est là que réside tout son mystère. Il n’est pas une donnée figée, mais un océan aux ressources inépuisables.
La première lecture est décisive. Elle nous fait prendre conscience que les lettres que nous parcourons ne livreront pas leurs secrets à la légère. Il faut donc un effort de relecture, un grand travail qui tisse un lien entre la forme et le fond, entre l’émotion et l’esprit critique. Lire, ce n’est pas simplement déclarer qu’un texte est exceptionnel ou banal ; c’est bâtir une vision critique qui ne se contente pas de juger, mais qui exige justification, explication et analyse. Le texte littéraire ne tolère pas une lecture simpliste, celle qui s’apparente aux réactions des supporters après un match terminé. À cet égard, et toujours dans le même essai, Roland Barthes fait la distinction entre l’opinion et la critique, soulignant que la critique est un discours secondaire sur le texte littéraire et non pas un jugement de valeur soumis aux goûts personnels.
Le texte littéraire est un tissu multicolore qui nous offre un plaisir « fugace » et nous ouvre des pistes de réflexion. L’écrivain l’a façonné en s’appuyant sur d’autres textes. Nous pourrions évoquer ici le concept d’intertextualité, théorisé par Julia Kristeva, ou parler de ce contact immortel entre passé et présent, entre cultures et expériences humaines. Rien ne naît du néant, tout se construit…
Découvrir un texte littéraire exige la maîtrise de certains outils essentiels à une lecture profonde de la forme et du fond. Lorsqu’il s’agit de l’exploration d’une œuvre entière, il est impératif de concevoir une entrée à l’œuvre : une approche attentive aux éléments structurels significatifs qu’un lecteur devrait considérer avant d’entamer la lecture. Ces outils permettent d’abord de contextualiser le texte en définissant son genre, son type, ainsi que sa construction interne, qui comprend les enchaînements logiques, les tonalités, les champs lexicaux et les registres employés. Ensuite, une étude détaillée permet de pénétrer le fond du texte, envisagé comme une mosaïque aux éléments indissociables. Il s’agit d’étudier l’organisation du récit, l’énonciation et, bien sûr, les figures de style.
Il va sans dire – et encore mieux en le disant – que l’étude d’un texte littéraire doit accorder une place prépondérante à cette panoplie d’outils, sans lesquels toute tentative d’analyse court le risque de dévier vers la superficialité. La dimension sémantique ne peut être atteinte que si l’on décortique le côté linguistique et rhétorique. C’est la forme qui donne sens au fond et c’est dans leur dialogue que l’on découvre que la beauté d’un texte réside dans sa complexité.
« La lecture est une amitié » , disait Marcel Proust. Mais alors, comment faire de la lecture une amitié ? Lire une nouvelle, un roman ou un conte exige une boîte à outils indispensable pour décortiquer le texte. Car en lisant, il faut croire que rien n’est superflu. Autrement dit, chaque élément, chaque détail est un fil tissé pour servir l’intrigue, ajuster le rythme du récit, révéler les personnages et dévoiler les compétences stylistiques de l’écrivain.
Organiser une entrée à l’œuvre, déconstruire et reconstruire le titre, préciser le genre et le type du texte, analyser le fond à travers les procédés stylistiques, leur nature, leur répartition et leurs fonctions : tout cela constitue l’essence même de l’analyse littéraire. Mais qu’est-ce qu’analyser, sinon l’art de décomposer un tout pour en saisir les relations internes, les articulations subtiles entre les éléments qui le composent ?
La lecture d’un texte requiert, d’une part, la passion. Le lecteur doit aimer ce qu’il fait pour y consacrer le temps et l’effort nécessaires. D’autre part, elle exige la technique; cette boîte à outils dont il ne peut se passer pour s’immerger dans le texte littéraire.
Le roman, la nouvelle ou le conte sont des genres littéraires distincts, néanmoins leur analyse doit être multidimensionnelle. Il s’agit d’accorder de l’attention à chaque détail afin d’établir un lien indissoluble entre la forme et le fond. C’est dans cette interaction que naît le lecteur double : un lecteur subjectif, qui ressent et s’implique émotionnellement dans les thématiques abordées, et un lecteur objectif, capable de considérer le texte comme une structure artistique autonome. Ce dualisme engendre une lecture profonde.
Alors, revenons à notre question : comment faire de la lecture une amitié? Un bon lecteur est avant tout un bon analyste, capable de fournir un effort colossal pour pénétrer les profondeurs du texte. Cependant, un lecteur qui se laisse distraire par les superficialités ne pourra jamais découvrir la magie d’un texte. La véritable amitié littéraire exige un engagement sincère et une volonté de dépasser les apparences pour s’imprégner de l’essence du texte littéraire.
Bibliographie:
– Barthes, Roland. Qu’est-ce que la critique ? Editions du Seuil,1966
– Barthes, Roland. Le plaisir du texte. Editions du Seuil, 1973

