Au tournant, Bobin (Par: Mohammed EL QANDIL)

Par: Mohammed EL QANDIL

Lire Christian Bobin est dangereux. Non seulement tu n’en sortiras pas indemne mais plus encore tu prendras peur dorénavant de marcher- vivre somme toute- sans faire attention aux choses et aux êtres qui vous entourent ; aux odeurs qui emplissent l’atmosphère et sollicitent l’intérêt du passant ; au solitaire qui fait du livre ou du ciel sa raison
d’être ; à l’enfant qui joue avec un sérieux extraordinaire… Car Bobin sent en écrivant, regarde en écrivant, s’extasie en écrivant, étale sa curiosité en écrivant. L’écriture, avec lui, devient une fête, une mélodie ou un tableau de  peinture. Tout scintille de cette beauté si simple, si offerte, si disponible, que rien ne peut égaler, à part un cœur ouvert dans lequel on doit l’héberger ou l’enraciner.

Rien à voir donc avec l’écriture cérébrale. Trop d’esprit tue le vivant. Déstabilise l’existence à force de raison ou de fiction soumise à une réalité de circonstance. Rien à voir non plus avec la fatuité d’un écrivain maniéré qui prête sa plume à la mode du jour.

Bobin écrit comme on respire. Presque spontané, limpide, audacieux, allant à l’essentiel, nu et armé seul d’un mot qui ne ménage à aucun moment les horizons de la vie.

Dans l’enchantement simple, la part manquante, lettres d’or, une petite robe de fête – pour ne citer que ces œuvres, Bobin nous rapproche de ce danger dont j’ai parlé tout à l’heure :

-Ne brisez jamais la solitude de quelqu’un qui fuit le monde car sa profondeur, son attrait, vont perdre de leurs éclats.

-N’interférez pas dans les rêves d’un homme, d’une femme ou même d’un fou parcourant les rues, le charme des nuages aura à se plaindre de vous incessamment.

-Ne jouez pas au plus malin avec un écrivain, il sait traverser les chambres de l’amour, de l’écriture, tel un prestidigitateur.

-En marchant, surveillez vos pas, ils peuvent fouler l’interdit ou brimer la beauté d’une plume d’oiseau délaissé par l’orage.

-Un rayon de soleil est aussi guérisseur qu’un sourire sur un visage aimé.

-vivre, c’est accepter d’être en accord avec le temps.

-Le jeu d’un enfant est un apprentissage indispensable pour les adultes.

-Le monde des vivants est plein de beautés insoupçonnées.

-Une brindille résume le monde…

En poussant la lecture, voici que le danger s’éclaire. Des plages de lumière envahissent les lignes, traversent la page comme un éclair qui n’a pas son pareil.

Des lumières de toutes les couleurs, venant de nulle part : Lumière qui vient du ciel ; lumière qui rayonne dans un visage ; lumière qui se réveille dans le donjon du cœur ; lumière qui brille dans les yeux d’une mère ou d’un enfant ; lumière d’une étoile ; lumière qui s’élève d’un livre d’Emilie Dickinson, d’André d’Hôtel… ou s’échappant d’une toile de Henri Matisse…

Beaucoup de lumières- pans d’un soufisme très particulier- riantes, belles, nonchalantes, surprenantes, vivifiantes, solitaires, répandant une joie sans cesse renouvelée, une vie au-delà de la vie, un rêve dont le secret réside souvent dans les détails les plus simples, les plus banals, le quotidien le plus plat et démesurément réel. On dirait presque un cortège d’anges blancs qui lave sur son sillage tout ce qui peut entraver la poésie de la vie.

Veut-il nous dire, à nous ses lecteurs assidus, que la lumière est sa passion et derrière cette passion se profile l’ombre d’une humanité bien abritée de la souillure ? Désire-t-il nous avouer, à nous amoureux de sa poésie hautement naturelle et spirituelle, que la lumière, qu’elle soit d’une œuvre d’art ou d’un sourire fortuit d’une personne rencontrée au hasard, résume une contrée où ne peuvent vivre que ceux qui se dévêtissent d’eux-mêmes, allant rejoindre le flocon de neige, la goutte de pluie ou la plume d’un canard nichant dans un fossé lointain?

Loin, devant toi, j’imagine bien que cette lumière est venue à ta rencontre maintenant.

Fatigué de la chercher dans ta vie, elle est devenue ta récompense dans ta mort. Merci à toi… d’avoir su nous inviter à se pencher sur la vie avec une courtoisie gorgée de lueurs enfantines.

Poète, chercheur en littérature et arts plastiques/ Inspecteur pédagogique