« Miroir aux alouettes », nouveau roman de l’écrivain Driss Korchi, est une course effrénée au fil du temps afin de résoudre la devinette hasardeuse d’un personnage assis au coin d’une route. Bien installé dans sa chaise à roulettes, dans un quartier de Narjiss à Fès, il fustige chaque passant, maudit chaque changement dans l’air, chaque ricanement suivi d’un hoquet et scrute le monde extérieur à travers l’écarquillement de ses yeux déformés par une paralysie faciale. Ce n’est pas Diogène Le Cynique ni non plus Abderrahmane L’arraché, mais un personnage dont la ressemblance avec un vieux camarade pousse l’auteur narrateur à mener ses investigations dans le but de dévoiler son identité.
Le passage fortuit de l’auteur à côté de ce personnage est fait en toute spontanéité, mais cette contiguïté mène vers une quête acharnée sur les vrais motifs de la déchéance pitoyable de ce personnage dont la ressemblance se révèle après des jours et des jours une simple phase transitoire et un effet éphémère.
Ce personnage qui ne mendie pas et qu’au lieu de tendre la main en l’accompagnant de propos pleins de supplique et édulcorés d’une pincée comminatoire, invective, crache et même parfois au paroxysme de sa colère, offre des doigts d’honneur généreux à tous les passants. Ce n’est autre que Saîd, un vieux collègue, un personnage hurluberlu qui a marqué les souvenirs du narrateur dans le Haut Atlas, dans le Hawz, à la lisière de Taroudante. Un va et vient aussi bien dans le temps que dans l’espace, le roman dresse un portrait défiguré et il en cherche la causalité.
Au passage, il y a bien sûr, des clins d’œil sur l’école et sa situation déplorable pendant ce temps-là et l’endurance des enseignants qui en tolèrent tant bien que mal les séquelles contraignantes. Finalement, l’auteur finit par dépoussiérer tous les faits sinistres qui ont chamboulé la vie de Said et en coup de théâtre, une femme surgit sur scène, non celle que Said aimait et qui est morte suite à un cancer, mais une autre qui se venge de lui d’une manière atroce. Cette vengeance ne vient pas forcément de ce vieux lien, cette vieille dualité: faute / vengeance, mais d’une vengeance sans faute, une vengeance compensatrice afin de satisfaire une ardeur vindicative contre tous, il n’en faut qu’un seul bouc émissaire pour y arriver. C’est Said !