Média culpa

Les médias reviennent des plus belles à la place publique, virus oblige. La demande sur l’info est subitement croissante. Leurs actes médiatiques sont très suivis, mais aussi sévèrement jugés en fonction d’un ensemble de valeurs morales collectives. Ils sont accusés de tous les maux. Leur reconstruction de la réalité sociale est dite biaisée. L’idée que les journalistes s’éloignent de plus en plus de leur mandat moral: rapporter la vérité, est largement répandue. Et les nouveaux «Chiens de garde» sont dits, désintéressés envers la mission de protéger la démocratie, raison d’être majeure de leurs pionniers. Bien plus, leur servitude par l’establishment décrédibilise leurs efforts d’informer et de cultiver. Ils ne font désormais que relayer des faits divers qui font diversion, comme aimerait bien les piquer Pierre Bourdieu. Et les complexes politico-financier de marteler: A quoi servirait d’acheter un journal quand nous pourrions acheter un journaliste ?

Médias-culpa…, de surcroît lors des grandes crises, où ils se trouvent sous les feux de la critique. Le contexte appelle à plus de retenue, de pondération, voire d’engagement, il ne faut pas, non plus, oblitérer le sens de la critique et de l’orientation. Si les médias publics ont choisi leur camp, c’est-à-dire celui de la communication publique, les autres devraient plutôt faire dans l’équilibre. Oublier le scoop et épouser plutôt l’exactitude. Eviter la confusion et prôner la clarté du discours. Sauf que l’on vit plutôt l’ère de la communication publique. Et en l’absence d’espaces médiatiques aux infos qui dérangent, celles-ci cherchent à souffler ailleurs. Le verbe informer se trouve synonyme d’un casier verbal rimant avec désinformer, complaire, amplifier, occulter, comploter, conniver, provoquer, créer, dénigrer, enjoliver… La vérité est submergée, le «client» est manipulé et le contrat moral est éraflé. Longtemps remise aux calendes grecques, le sens de l’éthique en journalisme fit profil bas. Les jugements ne proviennent pas uniquement des critiques et académiques, mais cette fois-ci, du grand peuple.

Qu’elles soient légales ou déontologiques, les règles n’ont jamais pu arrêter les déviations professionnelles. Des simples fautes aux défauts, aux erreurs et aux bourdes inexcusables, le public commence à jaser d’un métier sans règles ni scrupules. Tantôt ce sont des actes volontaires comme ceux des «embedded» en Irak, de Judith Miller sur les armes chimiques d’Irak ou encore de ce journaliste marocain osant signer un communiqué de l’intérieur, au sujet de l’affaire Ali Lamrabet. Tantôt ce sont des actes involontaires d’inattention, qui tombent du coup sur le compte de la bonne foi. Souvent, le problème relève d’institutions journalistiques spécialistes dans la communication publique ou encore celles détenues par des financiers et des affairistes dont l’information juste et éthique est le dernier de leurs soucis.

Bien évidemment, la profession préfère souvent s’en tenir à l’écart des débats sur ce genre de problèmes, et oppose, parfois non sans raison, les conditions de travail et de production de l’information. Et quand on en parle, c’est pour régler des comptes intra-corporation. La bavure commise par un éditorialiste de la place, ayant plagié des extraits d’un article de Jacques Attali, est un cas d’école. Le journaliste n’a jamais avoué sa gaffe, et ses détracteurs ont publié à la fois son texte et celui d’Attali en langue française. Ne parlons pas d’autres méthodes de pression sur des «ordonnateurs» publics ou privés, en laissant leurs images liées à un scandale, jusqu’à ce qu’ils cèdent, jusqu’à ce qu’ils comprennent … et hop, ils disparaitront subitement des parages.

Bref, beaucoup sont convaincus aujourd’hui que le mandat moral initial s’est métamorphosé et réclament par là une approche hétéro-régulation, à la place d’une autorégulation, tant prônée par les journalistes, mais souffrant d’une quasi impossibilité d’application. En tout cas, au fil des ans, le journaliste s’esseule dans son itératif plaidoyer pro domo.

C’est dire qu’aujourd’hui, la profession reste mal bien famée. Son aspect éthique, signe de contrat moral, de dire la vérité et rien d’autre que la vérité, trébuche à prévaloir dans la scène publique. Et alors qu’ils sont censés contrôler l’acte politique, ils se trouvent soudain méticuleusement contrôlés par leurs prétendus «clients». La sanction est sévère. Le public se doute de tout. Un doute qui remet en question le rôle des médias dans la mise en place d’un espace public.

Ainsi conçu et aménagé, le système médiatique donne l’image d’un corps guère soucié des questions de déontologie. Sa guerre est ailleurs, dirait l’autre. Du coup, une seule image règne dans l’agora. Une seule voix résonne au ciel de la vérité, et un seul verbe marque le temps. A bas la pluralité ! Où sont les autres voix ? Où sont les autres images ? Où sont les autres verbes ? Y en a-t-il vraiment d’autres ? … Oui, ils existent. Ils sont rares certes. Mais, ils résistent quand même.