Les agencements parfaits de Allal Sahbi Bouchikhi (Par Maati KABBAL, journaliste-écrivain)

Par Maati Kabbal*

Aux côtés de Cherkaoui, Gharbaoui, Mostapha Nissaboury, Moumen Smihi, Farida Belyazid, Nour Eddine Saïl, Mohammed Melehi, Farid Belkahia, Driss Chraïbi, Driss Khoury, Allal Sahbi Bouchikhi a fécondé fortement la culture marocaine par son savoir et son savoir-faire en matière de montage et sa maîtrise des arts visuels, notamment la photographie et la peinture.

La production de cette génération dite de la décolonisation reste un référent culturel majeur et une référence indépassable. On revient avec appétence aux écrits de cette génération, à ses dessins et sa peinture, sa filmographie, au sens critique qu’elle a développé et mis en exergue. Certains noms de cette courte liste ont acquis une notoriété internationale, d’autres ont préféré travailler dans l’hospitalité de l’ombre. Allal Sahbi Bouchikhi en fait partie. Il est doublement homme de l’ombre et de la lumière.

Né en 1949 à Fès, Allal Sahbi Bouchikhi quitte le Maroc en 1965 pour la France où il s’installe à la ville de Tours. Il obtient son bac en 1968, option photo. À Paris, il entreprend des études de sociologie et de cinéma à l’école pratique des hautes études en sciences sociales et à l’IDEHC. En 1971, il intègre l’ORTF comme assistant puis comme chef monteur dans le prestigieux service des productions dramatiques. Il devient sur les trois premiers films de Souheil Ben Barka son premier assistant.

 

 

 

 

À son retour au Maroc en 1974, il rencontre Latif Lahlou et en devient son principal collaborateur à Cinétélema. La rencontre avec Hakim Noury se transformera en une profonde amitié. Il monte également plusieurs films de Mohammed Azeddine Tazi. En 1976, il retourne en France et intègre en tant que responsable l’unité de production de FR3. Il rencontre Farida Belyazid et monte son film « Casablanca Casablanca ».  « Le montage permet de voir des choses et non plus de les dire », avance Jean-Luc Godard dont la révolution esthétique a été celle du montage. Loin de réduire le montage au simple « raccord » des images garantissant la continuité du récit filmique, Godard l’appréhende comme une opération complexe d’agencement, un « art de la composition », qui renouvelle les possibilités de l’écriture cinématographique.

Ce n’est pas par hasard que Allal est devenu monteur. Monter des images, c’est créer du lien, du relationnel, c’est donner vie à des histoires, c’est composer et défaire des destins. Allal faisait office d’un démiurge enchanteur, puisque tous les films qu’il a montés ont fait le bonheur de milliers de spectateurs et de cinéphiles de par le monde. L’art du montage consiste à créer de l’altérité, à donner corps et vie aux rêves les plus insensés. Mais Il faut le regard singulier, l’écoute, la patience, l’attente, des qualités nourries et entretenues mystiquement par Allal. Ce dernier fait partie de cette communauté godardienne qui a révolutionné l’art de l’image.

N’oublions pas que Allal Sahbi Bouchikhi a fait mai 68 à Paris,  ce qui est loin d’être négligeable comme élément formateur. En retournant vivre au pays, Allal ne s’est pas installé à Fès sa ville natale, mais à Essaouira, ville mythifiée par Orson Welles, et par d’autres grands artistes issus de la musique et de la peinture. Ville à l’histoire mosaïque. Il en est devenu un artiste souiri sédentaire regardant et du côté de la mer et du côté des terres peuplées d’arganiers, de plantes sauvages, de cactus à raquette, de palmiers nains.

Comme ces poètes Portugais qui cultivent la solitude le regard tourné vers l’Atlantique, Allal s’est installé en compagnie de son épouse Joëlle à Douar El Ghazoua à une douzaine de km d’Essaouira. Pour aller chez eux, il faut prendre une piste rocailleuse au milieu d’une forêt d’arganiers. Loin de rebuter le voyageur, cette double composition offre au regard une impression de propreté. La pierre est une matière propre, un élément sacré. Allal Sahbi a repris ce principe pour bâtir son Riad tout en pierres et en galets.  Une fois à l’intérieur, on est saisi par la végétation luxuriante faite de  palmiers, figuiers, oliviers etc.. une piscine occupe le milieu de la cour.

Le Riad est divisé en deux espaces: un espace pour les hôtes et un espace pour la famille, Allal et Joëlle son épouse. C’est dans ce dernier espace que se concentre le travail de Allal, ses tableaux, ses belles photos, des objets de collection dont certains datent du 19e siècle.

Artiste-peintre, Allal est également un artiste photographe dont l’objectif s’est porté avec amour sur Essaouira, son peuple, ses recoins et ses ruelles à ces moments de déshérence comme les appelle Roland Barthes. Dans ses toiles, faites de giclées de peintures mêlées, le fond se décompose dans la forme pour donner un visuel crû et charnu. Le regard est vite saisi par l’exubérance des couleurs, notamment le rouge amarante, le rouge bordeaux, le blanc, quelques taches de bleu. En peinture et en photographie, Allal prolonge ainsi son regard de monteur sur l’univers infini des nuances pour les doter de mouvements, d’agencements et d’accords parfaits.

*Journaliste-écrivain