Un rêve est un rêve qui est au-delà de toutes les frontières. Mais dans le cas de cette nouvelle création signée par Anne Laure-Liégeois, metteuse en scène française sur une idée des deux comédiennes Amal Ayouch et Sanae Assif, le mot est conjugué au pluriel, « Houdoud » signifie frontières/limites en arabe. Un mot si cher à Fatima Mernissi, sociologue, professeure, chercheuse essayiste et romancière et sur lequel elle est revenue dans son livre « Rêves de femmes, récit d’une enfance au Harem ». Son travail est fondamental dans la mesure où il révèle l’implosion des mots qui peuvent gérer nos vies et instaurer un ordre bien établi, surtout que la langue est au service de la mentalité qui règne.
S’agit-il, en passant par le théâtre, de nous livrer la pensée de cette figure emblématique du Maroc contemporain ou de nous brosser un portrait décalé d’une féministe qui n’a cessé de remuer le couteau dans la blessure ?
La scène – qui nous est ouverte le soir de la représentation- est meublée presque de rien. Un pupitre d’orateur en bois en couleur noir, installé au milieu. L’horizon de l’attente du spectateur est soutenu par cet indice qui sera éclairé par la suite. Fatima Mernissi jouit de ce profil de conférencière et oratrice hors pair. Cet objet incarne – pour un laps temps avant l’entrée de la comédienne – le moment d’une parole pensée. Il faudrait dire que l’image gigantesque de cette personnalité inspire la mise en place d’un vide tout autour. Les mots prononcés sont déjà des objets qui s’installent autour de nous.
Pendant une heure, le public a été invité de tendre l’oreille, d’écouter, de voir, d’imaginer… Nos sens doivent être aux aguets car il s’agit d’un travail minutieux autour d’un corpus conséquent qui a donné lieu à l’élaboration de cette histoire à raconter à double voix et incarnée par deux personnages qui portent le même nom.
Ce choix d’opter pour ce dédoublement de visage a apporté une douce grâce dans le rythme. Ce dernier est marqué par ce va-et-vient entre deux figures essentielles qui ont marqué le parcours de cette femme exceptionnelle: la conférencière et la conteuse. Fatéma Mernissi avait le mérite d’être nommée la Shéhérazade marocaine. C’est pour cela que l’accent a été mis sur cet aspect onirique qui porte une respiration dans un discours bien articulé en termes de recherche scientifique.
Il a fallu tout un travail lié à la dramaturgie du spectacle – avec la complicité de la metteuse en scène Asmae Houri – pour trouver le point d’ancrage de cette manifestation et tisser avec délicatesse l’univers de cette pièce de théâtre. Cette dernière est portée par la narration jouissive sans occulter l’interprétation qui a fait exalter la personnalité de Fatima Mernissi en tant que femme très spontanée dans sa vie de tous les jours.
« Rêve sans frontières » apporte une autre approche de cette icône féministe marocaine pour la sortir de ce cadre rétréci et l’offrir sous l’ombre de l’arbre de la vie. La voix de Fatima Mernissi a désormais sa place dans ce lieu exceptionnel qui est le théâtre.