L’Algérie: la guerre des routes

Jeudi 26 novembre 2020, le ministre algérien des Affaires étrangères Sabri Boukadoum est à Abuja au Nigeria en visite officielle. Deux objectifs sont assignés à cette visite: une rencontre avec la Commission de la CEDEAO, une première dans les annales de la diplomatie algérienne, et ensuite des entretiens politiques avec les autorités du pays. Avec la Commission, l’Algérie n’a presque aucun rapport politique et encore moins économique, par contre au niveau bilatéral, Alger voudrait relancer trois secteurs clés avec Abuja à savoir la route transsaharienne, le gazoduc et la liaison de fibres optiques.

La réponse à cette démarche algérienne peut être résumée par la position adoptée par le Président nigérian Mohammadu Bukhari lors de la réception accordée au diplomate algérien. Aucun développement entre les deux pays ne peut être sécurisé dans un environnement incertain, a-t-il fait remarquer. Autrement dit, et en termes moins diplomatiques, tant qu’il y a des mouvements terroristes en Algérie, dans les pays du Sahel, et même au Nigeria avec Boko Haram, tout développement économique resterait aléatoire. Cette saillie du président nigérian n’a pas été reprise par l’agence de presse officielle algérienne et résume, à elle seule, la réalité politique de cette sous-région.

Depuis son indépendance en 1962, l’Algérie, auréolée par la guerre d’indépendance menée contre la France, a été considérée comme le refuge des révolutionnaires africains de tous bords. Avec la dislocation du bloc socialiste des pays de l’Est et la faillite des régimes communistes, Alger a perdu cette aura. Elle cherche présentement à reprendre la main avec les pays africains en prônant une économie libérale et en espérant que son secteur privé puisse, malgré tout, jouer un rôle dans ce rapprochement. Mais cette reconversion ne peut aboutir, car le système politique algérien n’a pas évolué vers plus de réformes et d’ouverture, tandis que le secteur privé, qu’on appelle maintenant à la rescousse, a du mal à s’adapter aux exigences de l’économie moderne car longtemps protégé et habitué aux prébendes de l’état.

Pour remédier à cette situation, et conscient de l’impasse où il a mis le pays, le régime algérien a cherché à s’ouvrir sur le continent africain en développant des infrastructures routières d’envergure à destination de l’Afrique de l’ouest, avec l’espoir de pouvoir un jour concurrencer la présence économique marocaine dans cette région. Pour ce faire, trois projets ont été esquissés: le premier, c’est la mise en œuvre de la route transsaharienne qui va d’Alger à Logos au Nigeria; la seconde, c’est l’établissement d’un tronçon qui le lie à la Mauritanie via Tindouf, et enfin l’adoption d’une action politico-militaire par Polisario interposé, pour bloquer le développement du commerce qui transite par la route atlantique liant le Maroc, via le poste frontière El Guerguarat, à la Mauritanie et à l’Afrique de l’ouest.

La route transsaharienne.

C’est un projet qui date des années soixante, initié d’abord par la Commission économique des Nations-unies pour l’Afrique, puis adopté par les instances africaines et endossé par la suite par le gouvernement algérien. Cette route lie le Nigéria à l’Algérie en passant par le Niger puis en ralliant trois autres pays voisins que sont le Mali, la Tunisie et le Tchad. Le coût de réalisation de cette infrastructure a été révisé à plusieurs reprises et il est estimé à 5,2 milliards de dollars.

Malgré les retards enregistrés dans la réalisation de cette route, plusieurs tronçons ont déjà été achevés dans les différents pays. Cependant trois, défis restent à surmonter pour rendre cette route opérationnelle et rentable:

  1. Les États de la région n’ont pas encore mis sur pied les dispositions légales nécessaires pour gérer les flux commerciaux éventuels et mieux contrôler les produits échangés pour favoriser les transits des marchandises.
  2. La question sécuritaire se pose avec acuité à tous les pays du Sahel et aussi à l’Algérie et au Nigeria. Il faudrait des dispositions sécuritaires adéquates qui puissent assurer l’acheminement des voyageurs et des cargaisons qui vont traverser des milliers de kilomètres à travers des pays hautement menacés par le terrorisme.
  3. Alger s’est rendu compte tardivement que cette route ne peut être réellement opérationnelle qu’en construisant un port conséquent sur la Méditerranée, d’où le projet lancé avec les Chinois pour la construction du port d’Elhamdania à 60 kilomètres d’Alger. Celui-ci sera entièrement financé et construit par les Chinois, et comprendra 23 quais pour six millions de conteneurs et 25 millions de tonnes par an. La livraison est prévue, en principe, en 2023.

La route vers la Mauritanie.

Le développement des échanges commerciaux terrestres entre le Maroc et la Mauritanie, et au-delà avec les pays de la CEDEAO, est une réelle source de préoccupation pour les autorités algériennes. C’est ainsi que tout a été mis en œuvre pour ouvrir une voie routière entre Tindouf en Algérie et la Mauritanie, pour avoir accès à ce marché et atteindre la route côtière atlantique qui lie la Mauritanie à l’Afrique de l’Ouest.

Dès 2006, lors de la 15e session de la grande commission mixte de coopération algéro-mauritanienne tenue à Nouakchott, plusieurs accords ont été signés pour renforcer le cadre juridique du commerce entre les deux pays, dont le projet de cette liaison. Il faudrait attendre l’année 2013 pour que les deux pays lancent les études techniques préparatoires à la construction de ce chantier. En 2015, l’Algérie a déjà achevé son tronçon alors que son voisin traîne encore, ce qui pousse Alger à intervenir pour aider à boucler le projet du côté mauritanien, en prenant en charge les études techniques.

Ce n’est qu’en 2018 que l’Algérie inaugure cette liaison en grande pompe, se donnant ainsi l’impression d’avoir réussi à desserrer l’étau sur cette région reculée du pays mais totalement abandonnée aux trafiquants depuis l’indépendance. Si sur la transsaharienne règne l’insécurité et un faible volume commercial, sur celle-ci s’accumule l’insécurité aux trafics en tout genre: armes, dogues, cigarettes, détournements des aides internationales destinées aux camps de Tindouf, terrorisme et migration, sans compter l’hostilité et les caprices de la nature.

La route vers Guerguerat.

Depuis bien longtemps, Alger utilise le Polisario pour contrer les ambitions du Maroc sur le terrain en perturbant le développement de ses échanges avec ses voisins du sud. C’est ainsi que l’axe routier que le Maroc a développé patiemment vers la Mauritanie, le Sénégal, et le reste de l’Afrique de l’ouest, est l’objet de convoitises algériennes. A chaque occasion, les éléments du Polisario sont poussés comme pions vers la région d’El Guerguarat pour nuire et perturber ce projet ainsi que tout commerce entre le Maroc et la Mauritanie au niveau des frontières communes.

Après avoir alerté à plusieurs reprises le Conseil de sécurité sur ces agissements répétés, celui-ci a lancé plusieurs appels demandant le retrait des milices de cette région, mais sans résultat. Le mois d’octobre dernier, le blocage des frontières commence à prendre des tournures agressives contre les éléments de la Minurso, les forces marocaines, et surtout contre la circulation des produits et des personnes entre le Maroc et la Mauritanie. Ces actes ont été accompagnés par des menaces proférées contre les civils et les camionneurs qui reliaient l’Afrique de l’Ouest à la Mauritanie et au Maroc.

De guerre lasse, le 13 novembre dernier, les Forces armées royales procèdent pacifiquement au délogement des personnes et au nettoyage de cette route permettant ainsi aux transporteurs de rallier leurs destinations. Cette victoire éclair pour sécuriser définitivement cette zone est un tournant historique dans le combat que mène le Maroc contre les prétentions algériennes et son désir d’accéder à l’Atlantique par Polisario interposé.

Sur ces trois voies que l’Algérie cherche à développer et à conquérir et que nous venons d’évoquer: la transsaharienne, celle vers la Mauritanie, ou celle menant au Maroc, l’Algérie fait fausse route car il faut deux préalables à tout commerce. D’abord la sécurité qu’il faut instaurer et garantir entre les États de la région en respectant leur intégrité territoriale et en luttant conjointement contre le terrorisme et les bandes organisées. Ensuite, lutter contre tous les trafics, humains, de stupéfiants et de produits de contrebande, pour développer des échanges commerciaux au bénéfice de tous. Or ces deux préalables ne sont pas encore remplis par Alger, surtout que sa frontière, la plus propice au développement, celle qu’elle partage avec le royaume du Maroc, demeure fermée depuis plus d’un quart de siècle sans raison apparente et contre toute logique. C’est cette route-là que l’Algérie doit emprunter pour trouver le bon chemin qui mène vers la paix et le développement.

Ahmed Faouzi, chercheur en Relations internationales. Docteur en coopération internationale de Paris I Sorbonne et de Paris VII Jussieu Paris.