La pandémie de Covid-19 a mis en exergue l’importance de la culture en tant que mode sublime d’expression de l’humanité, mais aussi comme vecteur incontournable du développement économique et social. Le secteur culturel et créatif se doit encore de faire montre de résilience, en donnant de nouvelles dimensions à la façon d’investir et de créer la valeur.
Dans une interview à la MAP, Brahim El Mazned, membre de la Banque d’expertise UE/UNESCO (2019-2022), entrepreneur culturel aux multiples casquettes et fondateur de l’agence culturelle Anya, fait une description du paysage culturel et artistique au temps de la pandémie et propose des pistes à même d’aider le secteur à surmonter cette crise sans égal.
Pour M. El Mazned, également Directeur fondateur de Visa For Music et Directeur artistique du Festival Timitar des Musiques du Monde, le secteur culturel doit être mis en valeur. Il constitue, selon lui, un levier fondamental pour la promotion d’une économie soutenue et durable dans une dynamique constructive.
1- La crise sanitaire a porté un coup dur au secteur de l’industrie culturelle. Quelles sont vos propositions pour aider le secteur à s’adapter à cette nouvelle situation ?
La culture joue un rôle essentiel dans le développement humain et constitue un levier d’intégration sociale. En ces temps de crise, la culture ne doit pas passer à la trappe mais doit être une composante essentielle du développement économique et social dans notre pays.
Certes, les acteurs culturels et les artistes devront s’adapter aux nouvelles réalités et accepter de se produire différemment, dans d’autres lieux adaptés et devant un public limité. Les artistes ont toute la capacité pour s’adapter à ces nouvelles réalités, quelle que soit leur nature ou leur capacité (petites salles, cafés littéraires, écoles…), avec des formats plus adaptés.
Nous souhaitons que les pouvoirs publics et les grandes entreprises, ayant des capacités financières, investissent dans ce secteur en accompagnant les entreprises culturelles et les artistes à travers des bourses de création ou des subventions. Cela permettrait l’organisation d’activités dans l’espace public avec l’invention de nouveaux lieux de spectacles comme les établissements scolaires, les jardins publics, les hôpitaux, ou encore les établissements pénitentiaires.
2- Les professionnels ont tiré la sonnette d’alarme quant à la situation de l’industrie culturelle au Maroc, d’après vous comment peut-on se réinventer face à cette crise qui persiste ?
Cette pandémie a mis à genoux beaucoup de secteurs, y compris celui de la culture. C’est une crise inédite qui a non seulement impacté notre région, mais le monde entier. Le dé-confinement se fait d’une manière progressive mais lente. Nous émergeons d’un long confinement avec peu d’opportunités pour les artistes et les acteurs culturels.
Des secteurs, comme le tourisme et le transport, ont pu bénéficier d’appui et de programmes pour leur relance dans la phase post Covid-19. Pour re-dynamiser et redonner une nouvelle image à l’espace collectif, il faut également donner à la culture des places autres que celle d’Internet et celui de l’univers digital. Cela permettrait le développement et la création de valeurs et richesses notamment pour les artistes et les créateurs, sans oublier les lieux et les espaces qui accueillent la production culturelle et artistique, tout en pensant à de nouvelles manières d’investir l’activité artistique et culturelle.
3- Ces derniers mois, nous assistons à de nouvelles tendances en matière d’organisation de festivals et rendez-vous culturels (cinéma plein air, festivals 100% en ligne,…), quelles en sont les limites en termes d’interactivité artiste/public?
Les artistes et les professionnels du secteur culturel ont fait preuve de créativité et d’adaptation en créant des formats d’activités culturelles et artistiques qui maintiennent une dynamique créatrice d’une valeur, aussi minime qu’elle soit. Malheureusement, le spectacle vivant souffre déjà de fragilité structurelle et on ne peut pas limiter son rôle dans ce changement vers le numérique.
Les artistes et les professionnels du spectacle vivant ont beaucoup investi pour construire une industrie créative, et il s’avère actuellement primordial d’alimenter la réflexion sur la meilleure façon de soutenir les artistes et les institutions culturelles. Le secteur culturel doit être mis en valeur, il constitue un levier fondamental pour la promotion d’une économie soutenue et durable dans une dynamique constructive.
C’est vrai que le numérique a rendu le spectacle accessible pendant le confinement et a permis aux artistes de se réinventer. Mais malgré son aspect technologique, le digital change le processus de la création artistique de la production à la diffusion, en modifiant également le rapport de l’artiste avec son public.
Cette crise nous confirme que le numérique ne pourra jamais remplacer l’émotion du live et la rencontre directe entre un artiste et ses spectateurs. C’est un outil à développer, à maîtriser et à intégrer dans les stratégies de communication, comme complément au spectacle vivant.
4- Quelles dates retenir pour le Visa For Music, le salon des musiques d’Afrique et du Moyen-Orient organisé chaque année en novembre à Rabat? Quel est votre agenda pour les mois à venir ?
Visa For Music est un rendez-vous très attendu, nous y mettons toute notre énergie pour pouvoir maintenir notre engagement et organiser une édition dé-confinée du 18 au 21 novembre 2020, une édition symbolique pour tenter de panser cette crise et repenser ensemble l’avenir de notre secteur.
Nous préparons également, la sortie imminente de l’Anthologie des Rrways, un projet qui a réuni une centaine d’artistes de cette belle expression musicale amazighe.
Nous attendons avec impatience la fin de cette crise pour retrouver nos espaces culturels habituels, ainsi que nos festivals, et notamment le festival Timitar prévu chaque année la première semaine de juillet.
Propos recueillis par Safaa Bennour (MAP)