Marocophobie, le mal français

Paris: Zakia Laaroussi 

Au cœur de la République française, qui se veut l’incarnation universelle des idéaux de Liberté, Égalité, Fraternité, une fracture muette ronge ces principes dès qu’il s’agit des communautés maghrébines. Ici, le racisme n’est pas toujours crié. Il se vit en silence, sous forme de stéréotypes tenaces, d’amalgames insidieux, et d’une exclusion rampante. À la croisée de l’islamophobie et d’un mépris colonial refoulé, une forme pernicieuse de discrimination se manifeste : la marocophobie.

Ce n’est ni une émotion passagère, ni un simple malaise. C’est une construction lente, enracinée dans l’héritage colonial et nourrie par des représentations médiatiques biaisées, une parole politique opportuniste, et une absence de reconnaissance historique. Le Maghrébin en France — et en particulier le Marocain — demeure trop souvent l’étranger éternel, celui qu’on tolère, jamais qu’on embrasse.

Pourtant, ce discours officiel est contredit par la réalité. Dans les hôpitaux, les universités, les laboratoires, les institutions politiques et artistiques, des milliers de Franco-Maghrébins incarnent l’excellence et l’innovation. Prenons pour exemple Rachid Yazami, pionnier dans le développement des batteries lithium, ou Leïla Slimani, figure de proue de la littérature française contemporaine. Ce ne sont pas des exceptions. Ce sont les visages invisibilisés d’une France plurielle.

Le paradoxe est cruel : ces réussites sont célébrées en silence, tandis que les échecs, souvent isolés, sont amplifiés et généralisés. L’image du Maghrébin demeure figée dans les banlieues, la délinquance, l’échec scolaire. Cette dichotomie, savamment entretenue par certains médias et politiciens, alimente une machine redoutable : celle du rejet par omission.

Les médias jouent ici un rôle central. Par une focalisation systématique sur les faits divers impliquant des jeunes issus de l’immigration, ils construisent une narration anxiogène, où l’Autre devient une menace, un fardeau, un problème à gérer. Ce récit sélectif n’est pas innocent. Il sert d’outil électoral à des forces politiques qui prospèrent sur la peur identitaire. La marocophobie devient alors une ressource politique, instrumentalisée pour galvaniser les électorats les plus frileux.

Mais la responsabilité n’incombe pas uniquement à la France. L’absence de voix maghrébine forte sur la scène internationale, le manque de stratégie culturelle et diplomatique des pays d’origine, ont laissé les diasporas seules face à la tempête. Trop souvent, les élites maghrébines sont invitées à « être reconnaissantes », à taire leurs origines, à ne pas faire trop de bruit.

Pourquoi donc faudrait-il avoir honte de ses racines ? Pourquoi le Franco-Marocain devrait-il courber l’échine quand le Français installé à Marrakech ou à Alger affiche fièrement sa culture ? Cette asymétrie est révélatrice : elle démontre que l’universalisme républicain reste parfois à géométrie variable.

Il ne s’agit pas de réclamer des excuses. Ce que demandent les Franco-Maghrébins, c’est la reconnaissance pleine et entière : de leur contribution, de leur valeur, de leur légitimité. Ils ne sont ni des invités, ni des pièces rapportées. Ils sont co-auteurs de l’histoire contemporaine de la France. Il est temps de sortir du schéma centre/périphérie, de déconstruire les récits qui marginalisent et de bâtir une mémoire commune, juste et inclusive.

La marocophobie est d’autant plus dangereuse qu’elle ne dit pas son nom. Elle ne hurle pas, elle chuchote. Elle s’insinue dans les entretiens d’embauche, dans les regards, dans l’absence de représentation. Elle est systémique, feutrée, insidieuse.

Et pourtant, l’avenir ne peut se bâtir sans cette jeunesse franco-maghrébine qui porte haut les couleurs des deux rives. Une jeunesse qui n’attend ni permission ni paternalisme, mais qui exige sa place — non pas en marge, mais au cœur du récit national.

Car la France, si elle ose se regarder honnêtement dans le miroir, y verra des visages maghrébins. Elle y verra des médecins, des chercheurs, des écrivains, des penseurs — des citoyens à part entière, et non entièrement à part.

Alors, la question n’est pas : « le Maghrébin a-t-il sa place en France ? », mais bien : la France est-elle prête à accepter que cette place est déjà occupée, avec dignité, courage et mérite ?

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